“run away” & AOÛT 1942, ALBANIE.
Asia se jura ce jour-là qu’il ne remettrait plus un seul de ses orteils en Albanie.

De toute évidence, le pays était maudit. Hero et lui avaient manqué de mourir plus d’une fois depuis le début de leur voyage et désormais, la quête des exploits du héros de leur enfance lui semblait quelque peu vaine. Et entaché par toutes les mésaventures. Hero lui avait soufflé qu’il avait une drôle de conception des voyages, Asia avait lâché un rire nerveux : jamais il n’avait imaginé leur épopée tourner si vite au clavaire.

À présent, les deux jeunes sorciers étaient à l’abri sous leur tente sorcière. Dehors, la pluie ne cessait de s’abattre sur la toile verdâtre d cette dernière, la faisant ployer de temps à autre. Les pluies ici ne rigolaient pas, et Asia se demanda bien quand la poisse cesserait de les suivre dans leur voyage.

– Misère… Mais quel calvaire, souffla-t-il tout bas.

Il se retourna vers la couchette où Hero dormait encore profondément. La veille, ils avaient transplané ici en urgence, à bout de forces. Hero avait installé leur tente, Asia s’était presque écroulé de fatigue dès qu’il en avait franchis le pas, mais sa nuit avait été bien courte : la pluie s’était mise à tomber et depuis, ne faisait que croître. Désormais Asia se sentait un peu seul avec lui-même, attendant que son cousin se réveille. Il ne voulait pas le brusquer, le priver de ces précieuses heures de sommeil réparateur après tout ce qu’il avait enduré.
L’image de son corps dans ce lac lui arracha un frisson.

Ils avaient manqué d’y passer, tous les deux, et cela, Asia n’était pas prêt de l’oublier. C’est derrière toi Asia. Derrière vous. Mais malgré ses propres pensées se voulant rassurantes, Asia avait du mal à se ressaisir. Ce n’est pas digne de toi, allons, se gronda-t-il mentalement.

Quelque chose tomba de nouveau sur leur tente et Asia fronça les sourcils ; au-dessus de leur tête, les branches basses des arbres semblaient s’en donner à cœur joie. Ils n’avaient pas particulièrement pensé à l’endroit où s’implanter, ni même à s’il était le meilleur du coin : tout s’était fait dans une paniqué généralisée. Il resta aux aguets, sa baguette brandit sous son nez, prêt à la dégainer si le moindre intrus parvenait à contourner tous les sorts de protection qu’ils avaient lancé à la va-vite. À vrai dire, Asia ne se souvenait même pas réellement d’en avoir lancé lui-même. Sans doute avait-il compté sur son cousin à ce moment-là.

Derrière lui, le brunet remua légèrement dans son sommeil et il y reporta toute son attention. Le sommeil l’avait bel et bien quitté, dormir ne lui effleura même pas l’esprit, mais le rejoindre au chaud en revanche… Asia se reprit. Il serait incapable de profiter pleinement de l’instant après tout ce qui s’était passé et le savait. Il le regarda bouger de nouveau, une moue légèrement sur les traits de son visage qu’il trouvait si doux et rêveur en temps normal. Il se rapprocha légèrement, un sourire léger sur le visage.

– Hero ?

Il lui sembla le voir entrouvrir un œil brun.

– Sommeil agité ? Ne t’en fait pas, nous sommes en sécurité ici.

Cela en réalité, le jeune serpentard n’en était pas si sûr.

“run away” & AOÛT 1942, ALBANIE.
Le coup jaillit avant même qu’il n’eut le temps de le voir arriver, et Asia manqua de trébucher en arrière. L’instant d’après, c’était la baguette de son cousin, pointé sur son visage qui lui fit prendre conscience qu’il ne venait pas d’halluciner : Hero venait de le frapper, mort de peur. Il le regarda réaliser lentement, baisser puis lâcher sa baguette et Asia se figea, portant une main à sa joue désormais endolorie. Il n’eut même pas la force de riposter, crier, râler, car au fond Asia le savait : Hero avait perdu le contrôle. Tout au fond de lui-même, le sorcier ne lui en voulu pas. Il le vit détourner le regard et il baissa les yeux, presque penaud, essayant d’oublier le regard perdu de son cousin dans le sien. Sa joue était en feu, son coeur avait loupé un battement mais il avait été trop surpris pour laisser échapper le moindre signe de stupéfaction.

– Il y a des… choses… dehors ?
– Ce sont les branches qui frappent la toile, rien de grave, répondit-il.

C’était sa version et pour l’heure, elle lui convenait bien. Il refusait de l’alerter encore plus.

– Eh, Hero…

Il se rapprocha davantage de lui mais un nouveau bruit au-dessus de leurs têtes le fit sursauter. L’instant d’après, ses mains avaient trouvé les siennes et Asia en fut presque soulagé.

– Les branches. Ce sont juste les branches des arbres, répéta-t-il pour le rassurer.

Sans doute pour le rassurer un peu lui aussi. Il essaya de reporter son attention sur autre chose et passa une main dans ses boucles brunes, puis sur le col de son habit. Hero ne ressemblait pas vraiment à Hero ainsi, et cela le perturbait d’autant plus. Jamais son cousin n’aurait dormi dans un tel état si ses choses dans la forêt ne l’avaient pas poussé à le faire.

– Tu devrais te changer, ça te ferait du bien.

D’un geste du menton, il désigna un petit paravant vieillot dans le coin de la tente, une bassine d’eau à ses pieds. Les tentes sorcières offraient de nombreux privillèges, et ceux de l'équipement ainsi que de la taille en faisait partie. Celle offerte par leurs mères avant le départ avait tout ce dont ils avaient besoin.
Il se retint de blaguer sur son odeur corporelle ou sur l’état de ses cheveux. Un autre jour, peut-être. Quand leur excursion en Albanie serait derrière eux. De retour à Poudlard sans doute. Mais si, en temps normal, Asia avait toujours eu du mal à contenir ses moqueries et remarques vicieuses, aujourd’hui, il se contint. Son esprit sembla comprendre que l’heure n’était pas à la raillerie : se moquer de l’autre vert et argent reviendrait à le faire sombrer un peu plus cette nuit, et il n’avait pas besoin de ça. Il avait besoin du retour de son cousin en pleine forme, et surtout : maître de lui-même.

– Je vais jeter un œil à notre plan de voyage, et aux cartes…

Il lui tapota nerveusement l’avant-bras, sentant qu’il peinait à le laisser aller. Dans quelques jours, une fois remit sur pieds, Hero ferait très certainement mine de tout avoir oublié, maniant les faits pour les tourner à son avantage. Il connaissait la fierté de son cousin, et quelque chose en lui lui soufflait que ce voyage ne serait pas celui qu’ils raconteraient fièrement à leur compagnons de dortoir. Ou plutôt, pas la véritable version. La fierté n’avait pas élué domicile que chez Hero, Asia en débordait tout autant.