Octobre 1942

Revenons un peu en arrière un instant voulez-vous ? Avant que Kanaeko ne commence à se battre avec son plus dangereux adversaire (oui, cette robe rouge), au moment où Aurora a commencé à parler du whisky moldu. En effet, la jeune Serpentard n’y connaissait pas grand-chose et elle l’écoutait attentivement. Mais ce fut l’anecdote concernant la belle Poufsouffle terminant les fonds de verre des clients qui la fit éclater de rire. Elle imaginait bien, pour le coup, une mini-Aurora, engloutissant rapidement les verres laissés un peu trop à l’abandons en prenant garde à ne pas se faire attraper par son paternel.

« Tu es sérieuse ?!... Excellent ! Même moi je n’aurais pas osé ! »

La douce et sage Aurora n’était pas aussi sage qu’elle semblait l'être finalement. Cela plaisait à la Serpentard. Décidément, cette fille est pleine de surprises et aussi téméraire qu’elle ne l’est.

« Oui le sake est un alcool japonais. Ça n’a pas de gout particulier je dois dire, mais sa particularité est qu'il se boit presque chaud. C'est agréable en hiver même si tu ne sais pas ce qui te réchauffe le plus... La température de la boisson ou son alcool. »

Kana récupère finalement la carte qu’elle regarde. Mais Dumbledore avait déjà disparu. Elle remercie
Aurora puis sourit doucement à sa réponse. Décidément, la charmante blondinette était sous le charme du professeur de métamorphose. En même temps, ses arguments étaient convaincants et véridiques mais elle ne préféra ne pas lui répondre. Après tout, il est vrai qu’Albus est sans conteste le meilleur professeur de Poudiard et un pédagogue hors de pair... Mais cet homme lui semblait, justement, trop « parfait ». On ne peut pas être doux, gentil, intelligent, beau et j'en passe... Personne n’est parfait. La Serpentard se disait, souvent, qu’elle se faisait surement des idées concernant le concerné, surement à cause du fait qu’il reste un Gryffondor dans l'âme et, elle, une Serpentard, éternellement rivale de la maison au lion d’or. Malgré tout, elle sentait que son appréhension dépassait cela, comme si, dans les paroles mielleuses, derrières ce regard bienveillant, se cachait un serpent malin et patient, prêt à mordre à tout moment... Personne n’est tout à fait noir ou tout à fait blanc. Enfin, elle ne parlera pas de ses doutes à Aurora, ne se sentant pas le cœur à débattre sur les professeurs, du moins, pas pour l'instant. Après tout, le plus important était que la jolie blonde se sente épanouie durant ses cours et lui mettre le doute ne serait, sûrement, pas quelque chose de très sage pour quelqu’un qui va devoir se montrer pédagogue.

Juste avant d’essayer la robe, la jeune Poufsouffle la rassura en lui disant que si elle ne lui allait pas, ou si elle n'était pas à l'aise dedans, elle pourrait toujours en choisir une plus longue et plus ample. Parole qui la rassurait quelque peu alors qu’elle partait se changer.

Bon, nous revoici, donc, là où nous en étions : Kana prisonnière de sa robe, appelant Aurora au secours. Sans surprise, cette dernière éclata de rire. Mais ce n’était pas un rire moqueur, mais un rire plein de gaieté, comme toujours avec la belle Poufsouffle. Cette dernière alla aider sa nouvelle amie en passant derrière le paravent. Un peu gênée d’être vue aussi pauvrement vêtue, la Serpentard lui tourna le dos, cachant également le rouge de ses joues. Rouge non seulement dû à sa pudeur, mais aussi à sa honte. Après tout, elle était l’une des femmes les plus débrouillardes de l’école, mais elle était, tout bonnement, incapable d’enfiler une robe. En effet, elle avait oublié les agrafes dans le dos. C’est alors qu’Aurora intervint pour l’aider. D'un coup, Kana se raidit en sentant ses mains sur son corps pour l'aider à défaire les agrafes, puis à enfiler la robe. La jeune femme avait des gestes mesurés et doux. Les joues de la Serpentard virèrent au cramoisie, une légère flamme de désir s’allumant au creux de son cœur alors que les douces mains de la Poufsouffle continuaient d’enfiler la robe jusqu’à ce que la fermeture se referme sur son dos...

Elle se retourna finalement et se retrouva presque nez à nez avec sa nouvelle amie... Son parfum floral lui arriva directement au nez et la Serpentard dû se retenir difficilement pour ne pas l’embrasser. Elles étaient si proche qu’elle pouvait voir toutes les subtilités de son visage : Son maquillage soigné, la courbure de ses lèvres parfaites et la profondeur de ses yeux d’ambre... Kana pouvait, même, sentir la chaleur de son corps. Instinctivement, elle fit un petit pas en arrière, baissant la tête et détournant le regard, ce qui lui donnait un air timide, presque enfantin. Il ne fallait pas qu’elle cède à ses pulsions. Après tout, comment réagirait Aurora si elle savait qu’elle allait habiller une fille comme… elle ?! Mais la jolie blonde avait l'air scotchée par la beauté de la grande brune... Sa réaction ne fit que faire rougir encore un peu plus la Serpentard qui se demandait si elle ne surjouait pas un peu...

« Quoi tu trouves vraiment que ça me va bien ?.. »

A vrai dire, Kanaeko se sentait bien dedans. Le fait qu’elle soit proche du corps lui donnait une sensation d’aisance, presque comme une seconde peau. La robe était assez souple pour lui permettre de faire les mouvements qu'elle souhaitait sans risquer de déchirer une couture. Aurora ne tarda guère à l’entrainer devant la glace et, là, ce fut au tour de la concernée d'ouvrir la bouche, dans un air parfaitement stupide, en se voyant : La robe lui allait à la perfection. Jamais la dure-à-cuir ne s'était attendue à être aussi belle. La robe avait beau être proche du corps, ses belles formes étaient mises en valeur, laissant paraitre les traits de ses muscles, la courbure de ses hanches, de ses fesses ainsi que sa poitrine, mais laissant discret les légères rondeurs de son ventre et l’épaisseur de ses cuisses qui la complexait tant. La jolie brune ne put s'empêcher de se passer une main sur ses courbures, n’en croyant pas ses yeux elle-même avant de prendre la bouteille et de laisser deux brulantes gorgées de whisky lui couler dans la gorge.

« Ça me va carrément bien... Mais je ne me reconnais pas. »

Elle ne pensait pas elle-même être aussi belle. Dans tous les cas, quel que soit la robe, la brunette n'avait pas l’habitude de voir ainsi vêtue et il lui faudra du temps pour s’y faire. Mais ce n’était que pour une seule soirée. Il fallait que ce soit mémorable et, avec cette robe, elle pouvait couper le sifflet à ceux qui la traitait de garçon manqué. Cette robe montrait une autre Kana, plus féminine, mais toujours aussi provocante et ça lui plaisait.  Finalement, la grande brune ne put s'empêcher de sourire, pleinement satisfaite, regardant le reflet d’Aurora dans le miroir.

« J'ai d'autant plus confiance en tes capacités... Rien qu'avec cette robe, je me sens... belle. Merci Aurora... Tu as vraiment l'œil. Tu te rends compte ?... En quoi, dix minutes et deux coups d'œil, tu as surement trouvé la robe parfaite ! »

Elle serait passé un nombre incalculable de fois devant cette robe sans même oser la toucher si la belle Poufsouffle n'avait pas été là... Poussée par l’euphorie du moment, Kanaeko se jeta dans les bras de Aurora et l’étreignit en riant, sans réfléchir. Elle avait hâte, vraiment hâte de voir jusqu’à quel point la belle allait la métamorphoser.

Octobre 1942

Il avait fallu une combinaison compliquée et improbable pour que cet évènement se produise. Une seule petite faille dans cet évènement, le moindre petit rouage manquant, et ce baiser, jamais, n’aurait eu lieu. Il aurait fallu qu’Aurora ait une pleine conscience de son orientation naissante, que cette hardiesse trop naturelle envers la gent masculine prenne le pas sur son étonnante pudeur avec ses comparses féminines ; qu’elle soit certaine, enfin, de ne pas essuyer un rejet qu’elle ne craignait pas chez l’autre sexe. Mais ce cocktail délicieux de magie et d’alcool, de secret et d’essayage, d’amitié nouvelle avec son aînée aux antipodes de tout ce que représentait Aurora ; c’était là comme la conclusion naturelle de l’entrevue, comme une inéluctable fatalité, comme le souffle de poussière d’étoiles qui semblait illuminer leur soirée de hors-la-loi.

Ce fut bref et tendre, surpris et balbutiant, comme si aucune des deux ne s’attendait à un tel dénouement. Et puis l’instant brisé dans l’embarras du monde et du temps qui reprenait ses droits, après ces quelques secondes d’irréalité. La peur du rejet, terrible, avec laquelle Kanaeko devait vivre recluse, prisonnière des bonnes mœurs des années 40 qui lui interdisait ce genre d’amours. Aurora les connaissait, pour avoir le pub ou jouait Papa accueillir des couples clandestins, amants maudits et honnis de la plèbe bien-pensante, avait grandi en les voyant et avait poussé avec la liberté d’éducation et l’ouverture d’esprit nécessaires pour ne pas s’en formaliser.

Aussi Aurora, adolescente légère et un brin écervelée, ne se posait pas plus de questions que cela sur ce que faisait d’elle ce baiser. Kanaeko était jolie, à sa manière de garçon manqué, avait sans doute dans son naturel de chevalière servante un instinct de protection qui plaisait à la jeune fille. Le moment avait été agréable, mais léger et hors du temps, comme une parenthèse entre amies qui s’essaient à l’inconnu. Il n’y avait nulle passion qui lui faisait vaciller le cœur ou lui chamboulait l’âme. Kanaeko était une amie, avec laquelle elle s’était un peu trop enivrée et laissée aller. Mais elle. Elle semblait complétement bouleversée.

La peur du rejet, sans doute. Encore. Toujours. Une telle terreur ne pouvait être infondée, et, à l’idée qu’Aurora lui rappelle des mauvais souvenirs, de par sa légèreté, son cœur se serre. Une seconde, elle la regarde frémir, la main contre sa bouche, visiblement horrifiée et au bord des larmes, son cerveau embrumé par l’alcool se demandant vaguement comment désamorcer ce drame qui n’en était pas un. Une seconde, son bras se tendit dans le vide, se ravisa, tâchant d’user d’un tact dont elle n’était que trop peu coutumière ;

- Kana…

Mais Kanaeko n’écoutait pas. Des pardons confus, entrecoupés, et dans la gorge un nœud plein de larmes qu’elle ne semblait contenir qu’avec difficulté. Aurora cherchait désespérément quelque chose d’intelligent à dire, mais la détresse de son aînée la laissait pantoise, la laissant s’imaginer avec tristesse à quel point elle avait dû se sentir incomprise, pour réagir ainsi ;

- Kana…Ce n’est pas grave, je t’assure…

D’un geste mal assuré, elle d’ordinaire si affectueuse, elle posa la main sur son épaule, d’abord, tapotant son bras d’un geste qui se voulait réconfortant. Mais le désespoir ne s’atténuait pas, se muait en crise de panique, et visiblement l’adolescente s’y prenait mal, parce que Kanaeko glissait sur l’asphalte froide, ses genoux s’y entrechoquant dans un bruit sourd, le visage baissé, comme pour implorer à Aurora le pardon de quelque chose qu’elles avaient initié à deux. Cette fois-ci la jeune fille ne songea même plus à réfléchir, se jetant par terre elle aussi, nouant ses bras autour de la silhouette recroquevillée et frémissante qui croyait tant avoir quelque chose à se faire pardonner. D’un mouvement de balancier, la jeune fille berçait la silhouette qui lui avait paru si forte et si chevaleresque, la regardant s’effondrer par sa faute, le cœur fendu de voir la batteuse si forte et valeureuse tomber à ses pieds pour quelque chose que jamais l’adolescente ne lui aurait reproché ;

- Kana, s’il te plaît du calme…Je te dis que c’est pas grave…Enfin, je t’assure…Je le répèterai à personne. De toute façon, c’est autant toi que moi non ? Allez, t’inquiète pas pour ça…

Tout en la rassurant avec un succès tout relatif, Aurora passait une main réconfortante dans son dos, rongée par la culpabilité de cet élan qu’elle avait cru léger et qui semblait si douloureux et si dramatique à son aînée. C’est qu’Aurora, malgré la lâcheté de son père et l’éternelle célibat de sa mère, restait riche de cette ouverture d’esprit qui avait baigné sur son enfance et qui la rendait aujourd’hui si libre et si joyeuse. La main toujours sur son épaule, les deux silhouettes restaient là, accroupies, dans une position inconfortable, l’adolescente tentant vainement de dédramatiser la situation qu’elles ne semblaient pas du tout voir du même œil.

Etait-ce une lubie de son esprit trop positif qui lui jouait des tours ? Mais il semblait que Kanaeko se détendait, un peu. Aurora continua un instant le va et vient de sa main sur son dos, cherchant par un moyen quelconque à réconforter son aînée que sa légèreté avait mis dans cet état. Puis l’idée vint, et elle s’écarta doucement, laissant une main sur son bras comme pour insister sur le fait qu’elle ne la rejetait pas ;

- Tu sais quoi ? Je te laisse te changer, pour que tu te mettes à l’aise, et moi pendant ce temps je nous prépare un petit verre et un truc à grignoter, ça va te remettre d’aplomb, tu verras.

Décidant pour une fois de prendre les choses en main, Aurora se leva, tendant le bras à Kanaeko pour qu’elle s’y agrippe et qu’elle se redresse, elle aussi, un large sourire qu’elle voulait rassurant fendant son visage encore rosi et bouleversé par la détresse de son aînée qui avait toujours eu des airs de force inébranlable à ses yeux.

Octobre 1942

Kana leva les épaules à sa réponse en réfléchissant, toujours le sourire aux lèvres. Après tout, elle n’avait pris goût à l’alcool que récemment. Son père lui ayant fait gouter du sake étant enfant, cela l’avait dégouté pour un moment de l’alcool, trop fort et trop âcre pour de jeunes papilles… Au final, même si elle avait déjà fait les trente-six coups (seule ou avec son amie d’enfance), boire de l’alcool en cachette n’avait jamais été dans ses plans. Mais elle ne put s’empêcher de rire à sa remarque sans pour autant y répondre. Eh bien, c’était noté ! Durant les vacances de noël, elle ramènerait une bouteille de cet alcool de riz et le ferait goûter à sa nouvelle amie… Mais il ne ferait aucun doute que cela leur monterait à la tête toutes les deux sans crier gare mais peu importait. Et puis, comme dirait son père : « Kane wa hi de kokoromi, hito wa sake kokoromu. » (L’or est testé par le feu, les gens sont testés par l’alcool.) Car s’était bien ce qui était en train de se produire à ce moment-là. Aurora se lâchait de plus en plus et Kana se dévoilait, elle aussi, de plus en plus… A mesure que l’alcool lui montait à la tête, elle sentait les barrières qu’elle avait dressé, pour se protéger des autres, fondre comme neige au soleil… Cela aurait pu l’effrayer si sa témérité n’avait pas été renforcée par le feu qui courait dans ses veines et lui embrouillait l’esprit.

Son esprit embrouillé, d’ailleurs, ne l’avait pas aidé à enfiler cette robe car l’alcool n’était surement pas étranger à la maladresse curieuse de la jeune Serpentard (même si elle aurait, en temps normal, mit du temps toute seule à trouver pourquoi cette fichue robe refusait de se laisser enfiler). Vous l’avez deviné, je pense, mais il est évident que cette situation avait grandement gêné Kana mais pas seulement… Car c’était la première fois qu’une femme posait les mains sur son corps (en dehors de sa mère) et que, du coup, son esprit se retrouvait pris au piège dans une véritable tornade émotionnelle sur laquelle la Serpentard n’avait, absolument, aucun contrôle. Il faut comprendre que Aurora était en train de remplir un vide en elle… Son rayonnement constant de joie et de bonne humeur faisait prendre conscience à Kanaeko à quel point elle pouvait se montrer triste et fataliste à coté d’elle. Elle ne la connaissait que depuis douze heures et pourtant elle ne voulait plus la lâcher. La vert-argent savait qu’un lien puissant allait les unir mais lequel ?... Voilà là où elle en était dans sa tête. Et là, petit à petit, les hormones de l’adolescence faisaient le reste. La futur Auror s’était promise à ne plus jamais tenter sa chance avec une fille, que cela serait préjudiciable, non seulement pour elle, mais aussi pour la fille en question qui partagerait son coeur. Mais l’espoir, le désir et l’alcool mêlé troublaient son jugement. De là venaient les moments de gênes. Heureusement, elle se maitrisait encore juste assez pour reculer lorsqu’elles étaient trop proche mais cette maitrise ne tenait plus qu’à un fil prêt à rompre…

Néanmoins, se voir, ainsi, dans la glace l’avait un peu faite redescendre sur terre. La jeune femme ne cessait de passer ses mains sur ses hanches et sur son ventre, comme pour vérifier si ces courbes étaient bien les siennes. Oh elle savait qu’elle n’était pas moche mais elle se pensait juste « dans la moyenne ». Or là, elle se sentait véritablement belle. A la remarque d’Aurora, elle ne put s’empêcher de rire doucement.

« Ça pour changer, ça change !... Enfin, je ne porterai pas cela tous les jours non plus mais… pour un bal… C’est juste idéal. »

L’idée d’attirer constamment le regard des garçons ne lui plaisait guère et elle se sentait bien dans ses vêtements de garçon. Néanmoins, l’idée de rabaisser le caquet des filles de Serpentard qui la traite de garçonne (et c’est de loin le mot le plus gentil que j’ai trouvé) lui plaisait. Surtout que les filles en question n’étaient que rarement des symboles de beauté. A la réflexion d’Aurora, Kana leva un doigt.

« Mais tu y as pensé justement… Robe fourreau rouge… On en a parlé juste avant qu’elle n’apparaisse. Rien n’arrive par hasard ici… Tu as réussi à faire apparaitre quelque chose de si précis… Je… je ne sais pas si j’y suis déjà arrivé personnellement… Tu… tu n’arrêtes pas de me surprendre, tu sais ?... Et puis… Tu as déjà réussi ton pari ! Tu m’as rendu belle. »

Elle sourit doucement, les yeux pétillant de bonheur… mais aussi étais-ce dû à l’alcool qui commençait à n’être que trop présent dans son sang…

Elles étaient enlacées à présent. La senteur florale que dégageaient les cheveux d’Aurora montait peu à peur à la tête de Kanaeko, telle une drogue douce. Elle se sentait bien, apaisée… Elle avait perdu, elle aussi, la notion du temps. Elle sentait sa peau sur la sienne, son souffle dans ses cheveux et cela l’apaisait, la détendait. Lorsque leur étreinte se termina finalement, elles étaient, à nouveau, si proches… Les joues d’Aurora étaient devenues roses, donnant une nouvelle dimension à son visage, presque intimidé, qui ne la rendait que plus mignonne, plus craquantes aux yeux de la Serpentard que jamais. Cette dernière se perdit dans un rêve. Elle avait les yeux mi-clos, rivé sur ceux tout aussi pétillants de la belle Poufsouffle.

« Je veux bien… Je te fais confiance. »

Elle ne savait pas vraiment elle-même si elle répondait à sa question ou si elle lui parlait dans un autre contexte. Tout ce qu’elle savait c’était… qu’elle voulait l’embrasser, ici et maintenant. Sa raison était étouffée par ces sentiments neufs et puissants, attisé par un mélange d’alcool et de désirs d’adolescente. Sa main se posant doucement sur la joue de la Poufsouffle et, avec lenteur, approcha son visage du sien… Elle la tenait de son autre main au milieu du dos, mais sans aucune fermeté, au contraire, avec une douceur presque exagérée, n’effleurant qu’à peine sa robe. Aurora avait tout le loisir de sortir de son étreinte si elle le souhaitait… Mais, si elle ne bougeait pas, la Serpentard posera inexorablement ses lèvres sur les siennes afin de l’entrainer dans un baiser doux, timide et, sans doute, quelque peu maladroit étant donné la faible expérience de Kana dans ce domaine… Car elle avait instinctivement confiance en elle… Même si l’alcool et les hormones la poussaient à se geste, si elle se laissait entrainer, c’était, d’abords et avant tout, parce que ce qu’elle avait dit juste avant, elle le pensait : Aurora était une femme de confiance… et elle était prête à partager avec elle son secret le plus douloureux, pour le meilleur ou pour le pire.

Octobre 1942

Cette soirée, plus que n’importe quelle autre à Poudlard, respirait la magie. De la merveilleuse salle écumant de charmes et de sortilèges dont même les plus érudits ne perceraient jamais les plus insondables secrets ; des embruns vaporeux de l’alcool qui avaient déposé leur chape brumeuse sur les cœurs et les cerveaux soudains allégés des deux étudiantes aux antipodes l’une de l’autre qui se découvraient une affection inopinée que la promiscuité alcoolisée rendait plus intimiste encore. Le prodige délectable de voir l’indécrottable garçon manqué admirer sa beauté pour ce qu’elle était, dans la splendeur de la robe écarlate qui semblait avoir été cousue pour épouser sa silhouette. Aurora s’enorgueillissait du plaisir d’avoir levé le voile dont la batteuse drapait sa beauté véritable, dont elle n’avait pas douté un seul instant. Elle n’en était que bien trop proche pour ne pas pouvoir l’admirer, son aînée littéralement au creux de ses bras, la jeune Poufsouffle semblant l’envelopper de ces douces fragrances de camomille et de rose qui s’exhalaient de sa chevelure d’or et de miel. Electrisante proximité qui, si elle avait été masculine, aurait bien moins fait perdre ses moyens à la pétulante jeune fille qui souriait à l’audace de tout l’éclat de cette joie solaire qui illuminait ses pas.

Une fois n’est pas coutume, et il aurait été injuste d’imputer à la seule allégresse de l’alcool les joues rosies et l’ambre brillant du regard d’Aurora, qui semblait étinceler d’un millier d’étoiles qu’on aurait jeté là dans le ciel mordoré de ses prunelles. Plus légère, plus étourdie qu’à l’accoutumée, la jeune fille eut un rire éclatant, un de ces rires cristallins à la pureté de source claire, qui se teintait d’un embarras dont elle dissimulait mal la nervosité ;

- Certainement pas tous les jours ! C’est que le Bal approche, et que j’aimerais bien avoir un cavalier moi aussi ! Les garçons n’auraient plus d’yeux que pour toi !

Son rire résonna encore sous l’aveu de la concurrence féroce que la batteuse à la tignasse emmêlée pourrait représenter une fois apprêtée. Aurora n’était pas de ces rivales aux griffes acérées et au venin mortel. Non, la loyauté des Poufsouffle reprenait le dessus, et seule la force de son sourire triomphait d’un quelconque jeu de séduction, et non l’acidité d’un ragot ou d’une avanie sur une de ses comparses. Et l’idée de s’être si bien acquittée de sa tâche au point que Kanaeko lui fasse de l’ombre l’amusait plus que tout autre chose, n’ayant eu finalement que peu de choses à faire, sa beauté déjà bel et bien là, dissimulée sous sa tignasse brune et se oripeaux de jazzman Moldu. Et, à une Aurora qui se dépréciait, sa nouvelle amie imposa le silence d’un doigt levé, arguant que la merveilleuse salle n’aurait pu matérialiser la robe parfaite de toutes pièces, si elle n’avait pas trouvé naissance dans les tréfonds de l’imagination de la jeune Poufsouffle. Le sourire d’Aurora s’élargit et ses joues rosirent un peu plus, pouvant presque s’abreuver au souffle tiède de la batteuse métamorphosée au regard étincelant qui s’entrechoquait à l’ambre du sien. Pas vraiment offusquée, pas même attristée de la surprise que manifestait ouvertement Kanaeko, à la découvrir finalement pleine de ressources, fut-ce pour un sujet aussi trivial que la coquetterie. Car même l’écervelée qu’Aurora était n’était pas sans ignorer les ragots la concernant, trouvant pour leur immense majorité leurs origines dans les tréfonds du nid de vipères qu’étaient les dortoirs féminins des Serpentard. Et, bien que la Verte et Argent ne ressemble en rien à ses congénères, il était naturel qu’elle se soit, même inconsciemment, abreuvé de l’opinion que tous se faisaient d’elle et qui, après tout, correspondait à l’image qu’elle arborait dans les couloirs ;

- Cette salle est vraiment, vraiment…incroyable ! Mais bon, j’admets que j’ai réussi au-délà de mes espérances…Enfin, je savais que j’allais réussir, parce que je te trouvais déjà jolie mais…wahou, tu sembles faite pour porter des robes.

Et si les compliments avaient beau être naturels, la proximité et la tension les rendaient presque balbutiants, le sourire hésitant et le regard fuyant presque le visage aussi tout aussi ému et déboussolé que le sien. Etreinte amicale étouffée par ce je-ne-sais-quoi d’électrisant, bouffée de tension balbutiante qui rendait les regards suffocants, presque pénibles. Jamais, en compagnie d’un garçon, Aurora ne s’était sentie aussi désarmée aussi déstabilisée, comme si avec eux il était bien plus facile de mener la danse, comme s’il était chose bien plus aisée de garder le contrôle sur ses congénères masculins. Car ce soir, les joues roses et le cerveau embrumé d’alcool, Aurora se sentait frissonner dans l’étreinte, se sentait trembler devant l’inéluctable, de ces lèvres qui se rapprochaient, de cette main fraîche qui s’apposait au feu cramoisi de sa joue, de l’autre qui effleurait timidement de ses doigts le tissu de sa robe. Dans un geste inconscient, les bras qui enlaçaient la taille souple resserrèrent doucement leur étreinte, les yeux mi-clos sur le visage trop proche, comme pour s’insuffler le courage de ce qui allait advenir, de ce qu’elle savait inéluctable et qu’elle appréhendait tout en ne bougeant pas d’un cil, pourtant ;

- D’accord…

Réponse vague à une question qu’elle avait elle-même posée mais qu’elle avait oublié, déjà. Aurora, malgré son acquiescement, ne bougea pas, statue de sel se soumettant au baiser qui n’était plus qu’à quelques millimètres, et que chaque seconde d’immobilité rendait un peu plus inéluctable. Il fallait dire ou faire quelque chose, mais la couarde jeune fille ne s’y résolvait pas, tant il était simple d’ordinaire de laisser les garçons faire le premier pas. Ne parvenant pas à s’insuffler un courage qu’elle n’avait pas, elle s’offrait, les yeux mi-clos, à la détermination de la Verte et Argente, bien plus tenace et plus courageuse qu’elle ne le serait jamais. Solution de facilité, nature paresseuse qui s’alanguissait là aux désirs des autres, Aurora chercha à dire ou à faire quelque chose, le moindre battement de cil pouvant accélérer ou freiner la magie de l’instant décisif qui se décidait sous les secondes qui s’égrenaient ;

- Je…

Et pour la première fois de toute son existence, Aurora ne sut que dire. La naissance du piteux balbutiement s’étouffa dans le silence de l’instant, et cette fois-ci ses paupières alourdies de sommeil et d’alcool se fermèrent doucement, ne laissant plus entrevoir le visage trop proche de Kanaeko qu’à travers l’épaisseur de cils noirs qui ourlaient ses yeux d’ambre. Dans les bras de la batteuse, un instant, Aurora frissonna ; elle avait senti le parfum des lèvres qui s’approchaient avant même qu’elles n’effleurent les siennes. Comme un avant-goût de la soie qui les ourlaient, de la tiédeur qui s’en exhalait, de ce parfum de liberté et de bravade qu’elle inspirait, elle et sa silhouette de guerrière, sa crinière emmêlée qui flottait au gré du vent, ses paumes un peu calleuses de joueuse de Quidditch, loin, si loin de la nonchalance voluptueuse de la coquette jeune fille qui se surprenait à trembler dans ses bras, à peine une journée après avoir échangé leurs premiers mots.

Octobre 1942

Avec le recul, la belle Aurora avait eu un comportement bien étrange avant même que Kana ne se montre entreprenante. Bon, d’accords, la jeune Serpentard n'avait pas fait grand-chose pour dissimuler sa propre gêne, gêne qui n'avait pas lieu d’être en temps normal. Bon, je tiens, tout de même, à préciser que l'homosexualité de Kana n’était pas le seul déclencheur de la gêne... La vérité est que la batteuse est pudique et quelque peu complexée par son corps qu’elle trouve plein de défauts (jambes trop musclées, presque masculines, poitrine trop petite, épaules trop larges...). Malgré son côté garçon manqué dans la vie de tous les jours, paradoxalement, elle aurait aimé avoir un corps plus féminin et mieux dessiné. Bref, tout cela pour dire que leur certaine proximité avait tout autant perturbé Aurora que Kana. La jaune et noir dit alors quelque chose qui fit rosir la vert-argent... Soi-disant qu’elle allait attirer les mecs comme des aimants, bien plus qu’elle ! Bon, il ne fallait pas pousser non plus. Mais il est vrai, que vêtu de la sorte, elle se trouvait vraiment très belle alors, qu'est-ce que cela donnera lorsqu'elle sera coiffée, maquillée et chaussée ?…

Kanaeko n’osa pas lui dire qu’attirer les mecs ne l’intéressait pas. Jamais elle ne sortirait avec un garçon. Son cerveau embrumé failli lui faire lâcher une phrase du style « Si tu as une tenue qui me permettrait d'attirer les filles plutôt que les gars, je serais preneuse par contre. » mais elle réussit à se contenir. Une gorgée de plus de Whisky pur-feu et elle aurait été capable de le lâcher. Non, à la place, elle se contenta de rire avec elle. Mais l’honnêteté et la gentillesse d’Aurora la dépassait. Était-il possible qu'il existe quelqu'un d'aussi bienveillant dans cette école ? La jeune femme ne pensait pas même qu'il pouvait exister quelqu'un d'aussi bienveillant en ce monde. Aurora Bishop était un idéal... Si tous les humains de ce monde n'avaient que 10% de sa gentillesse et de sa bienveillance, il n’y aurait jamais de guerre. Elle ne cessait de complimenter Kana, l’encourageant à porter des robes mais elle n’était pas vraiment emballée. Certes, ça lui va bien mais elle se sentait un peu à nue ainsi. C'était triste à dire mais elle réalisa, alors, que si elle portait des vêtements de garçon, c'était également pour être bien moins attirante à leurs yeux et, à l'inverse, avoir une chance d'attirer le regard des filles. Cette pensée lui donna un court instant l’envie de rire et de pleurer, triste paradoxe de sa condition et pourtant... Quel plaisir que de se sentir belle. Purement et simplement belle.

Elle ne connaissait qu’à peine Aurora, mais elle voulait lui en parler... Elle voulait lui partager ce secret qui pesait si lourd sur son cœur. Elle voulait lui expliquer pourquoi elle portait des vêtements de garçon, pourquoi elle cachait ses formes féminines... C’est peut-être ce désir, en plus de l'alcool, de la fatigue et de la situation qui lui fit franchir le pas. Oh, encore une fois, elle était prête, au moins signe de négation, à reculer et à la laisser tranquille mais la belle Poufsouffle n’en montra aucun signe. Au contraire. Son étreinte s'était resserrée, encourageant la jeune Serpentard à aller au bout de son geste. Ce geste aurait pu paraitre insignifiant, mais pour Kanaeko, ce fut presque une demande. Ses yeux se fermèrent et, dans l’ombre de la salle sur demande, elle posa avec une délicatesse mesurée ses lèvres sur celles d’Aurora avant de l’entrainer dans un baiser doux et tendre à la fois, bien qu’un peu maladroit. N'oublions pas que le dernier baiser de la Serpentard remonte à près de huit ans, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Mais c'était bien un baiser d’adulte qu’elle offrait à sa nouvelle amie et quel baiser !... La douce halène, quelque peu sucrée, de la jaune et noire, la douceur de ses lèvres et cette proximité lui montait à la tête. Instinctivement, elle appuya un peu plus le baiser, le rendant légèrement langoureux. La fièvre de l'alcool et de la situation envenimait totalement son jugement. Elle se sentait si bien, sentant le corps chaud de la jeune femme contre le sien, ses lèvres contre les siennes. La main dans son dos vint se poser sur sa hanche et celle qui se trouvait sur sa joue était descendu sur son épaule, prête à descendre plus bas si le désir continuait de monter... Mais, malgré l'alcool, la fatigue et la chaleur de la situation... Un blocage s’opéra de lui-même. Ce n’était pas bien. Déjà, ce n’était pas bien pour Aurora. Kanaeko eut, soudain, l'impression d’avoir manipulé cette fille innocente pour abuser d'elle... (Bon, je vous rassure en tant que narrateur, rien de tout cela n'avait été prémédité par Kana et tout s’est passé dans le feu de l’action. Néanmoins, la jeune femme avait peur de l’avoir fait inconsciemment, doutant de sa propre bonne foi.) Elle avait la sensation de trahir une amitié naissante, à peine sortie de l’œuf, ce qui était déjà une chose horrible en soit. De plus, même si Aurora était parfaitement consentante, ce n’était pas bien pour elle... Même si, à la fin de cette histoire, Kanaeko commençait à sortir avec Aurora, elle aurait la sensation de détruire la vie de son amie, l’obligeant à vivre dans l’ombre, à refuser toutes les avances sans pour autant avoir le droit (et la fierté) d’avouer être en couple avec une femme. Ce n’est pas une vie convenable et la Serpentard ne souhaitait partager sa situation avec personne et encore moins un ange comme la jolie blonde. Pour finir, elle trahissait Darragh. Comment avait-elle pu l’oublier ? Ce garçon lui avait ouvert son cœur, lui avouant avoir un faible pour cette jeune femme, faible qu’elle ne pouvait que comprendre. Comment oserait elle regarder son ami en face en tenant la main de celle qu’il a toujours aimé ?…

Le baiser se rompit alors soudain par la vert-argent... Est-ce que cela aurait pu aller plus loin ?.. Elle ne le savait pas et ne voulait pas le savoir. Kanaeko avait reculé de quelque pas et se mit une main devant la bouche, un peu tremblante et au bord des larmes, comme un enfant qui venait de faire une grosse bêtise.

« Aurora... Je. Je suis désolé... Je… je ne sais pas ce qu’il m'a pris. »

Mais comment expliquer cela ? Les paroles de sa mère lui revinrent en tête. « Ce n’est pas naturel ! Une femme ne peut pas aimer ou désirer une autre femme ! C’est impossible et tu ne pourras jamais vivre comme ça ! » Et elle n’avait pas tort. Comment avait-elle pu croire qu’Aurora se laissait faire ?! Cette fille était, peut-être, juste pétrifiée de peur ! Comment lui expliquer qu’elle aimait simplement les femmes et que, durant un instant, elle s'était simplement laissée portée par l'alcool et ses désirs ardant de jeune femme en pleine crise d’adolescence ? Elle tomba à genoux sur le sol froid de la salle et baissa la tête.

« Pardon... Sincèrement... pardon. Je ne sais pas quoi dire... pour m’excuser... »

Octobre 1942

Il avait fallu une combinaison compliquée et improbable pour que cet évènement se produise. Une seule petite faille dans cet évènement, le moindre petit rouage manquant, et ce baiser, jamais, n’aurait eu lieu. Il aurait fallu qu’Aurora ait une pleine conscience de son orientation naissante, que cette hardiesse trop naturelle envers la gent masculine prenne le pas sur son étonnante pudeur avec ses comparses féminines ; qu’elle soit certaine, enfin, de ne pas essuyer un rejet qu’elle ne craignait pas chez l’autre sexe. Mais ce cocktail délicieux de magie et d’alcool, de secret et d’essayage, d’amitié nouvelle avec son aînée aux antipodes de tout ce que représentait Aurora ; c’était là comme la conclusion naturelle de l’entrevue, comme une inéluctable fatalité, comme le souffle de poussière d’étoiles qui semblait illuminer leur soirée de hors-la-loi.

Ce fut bref et tendre, surpris et balbutiant, comme si aucune des deux ne s’attendait à un tel dénouement. Et puis l’instant brisé dans l’embarras du monde et du temps qui reprenait ses droits, après ces quelques secondes d’irréalité. La peur du rejet, terrible, avec laquelle Kanaeko devait vivre recluse, prisonnière des bonnes mœurs des années 40 qui lui interdisait ce genre d’amours. Aurora les connaissait, pour avoir le pub ou jouait Papa accueillir des couples clandestins, amants maudits et honnis de la plèbe bien-pensante, avait grandi en les voyant et avait poussé avec la liberté d’éducation et l’ouverture d’esprit nécessaires pour ne pas s’en formaliser.

Aussi Aurora, adolescente légère et un brin écervelée, ne se posait pas plus de questions que cela sur ce que faisait d’elle ce baiser. Kanaeko était jolie, à sa manière de garçon manqué, avait sans doute dans son naturel de chevalière servante un instinct de protection qui plaisait à la jeune fille. Le moment avait été agréable, mais léger et hors du temps, comme une parenthèse entre amies qui s’essaient à l’inconnu. Il n’y avait nulle passion qui lui faisait vaciller le cœur ou lui chamboulait l’âme. Kanaeko était une amie, avec laquelle elle s’était un peu trop enivrée et laissée aller. Mais elle. Elle semblait complétement bouleversée.

La peur du rejet, sans doute. Encore. Toujours. Une telle terreur ne pouvait être infondée, et, à l’idée qu’Aurora lui rappelle des mauvais souvenirs, de par sa légèreté, son cœur se serre. Une seconde, elle la regarde frémir, la main contre sa bouche, visiblement horrifiée et au bord des larmes, son cerveau embrumé par l’alcool se demandant vaguement comment désamorcer ce drame qui n’en était pas un. Une seconde, son bras se tendit dans le vide, se ravisa, tâchant d’user d’un tact dont elle n’était que trop peu coutumière ;

- Kana…

Mais Kanaeko n’écoutait pas. Des pardons confus, entrecoupés, et dans la gorge un nœud plein de larmes qu’elle ne semblait contenir qu’avec difficulté. Aurora cherchait désespérément quelque chose d’intelligent à dire, mais la détresse de son aînée la laissait pantoise, la laissant s’imaginer avec tristesse à quel point elle avait dû se sentir incomprise, pour réagir ainsi ;

- Kana…Ce n’est pas grave, je t’assure…

D’un geste mal assuré, elle d’ordinaire si affectueuse, elle posa la main sur son épaule, d’abord, tapotant son bras d’un geste qui se voulait réconfortant. Mais le désespoir ne s’atténuait pas, se muait en crise de panique, et visiblement l’adolescente s’y prenait mal, parce que Kanaeko glissait sur l’asphalte froide, ses genoux s’y entrechoquant dans un bruit sourd, le visage baissé, comme pour implorer à Aurora le pardon de quelque chose qu’elles avaient initié à deux. Cette fois-ci la jeune fille ne songea même plus à réfléchir, se jetant par terre elle aussi, nouant ses bras autour de la silhouette recroquevillée et frémissante qui croyait tant avoir quelque chose à se faire pardonner. D’un mouvement de balancier, la jeune fille berçait la silhouette qui lui avait paru si forte et si chevaleresque, la regardant s’effondrer par sa faute, le cœur fendu de voir la batteuse si forte et valeureuse tomber à ses pieds pour quelque chose que jamais l’adolescente ne lui aurait reproché ;

- Kana, s’il te plaît du calme…Je te dis que c’est pas grave…Enfin, je t’assure…Je le répèterai à personne. De toute façon, c’est autant toi que moi non ? Allez, t’inquiète pas pour ça…

Tout en la rassurant avec un succès tout relatif, Aurora passait une main réconfortante dans son dos, rongée par la culpabilité de cet élan qu’elle avait cru léger et qui semblait si douloureux et si dramatique à son aînée. C’est qu’Aurora, malgré la lâcheté de son père et l’éternelle célibat de sa mère, restait riche de cette ouverture d’esprit qui avait baigné sur son enfance et qui la rendait aujourd’hui si libre et si joyeuse. La main toujours sur son épaule, les deux silhouettes restaient là, accroupies, dans une position inconfortable, l’adolescente tentant vainement de dédramatiser la situation qu’elles ne semblaient pas du tout voir du même œil.

Etait-ce une lubie de son esprit trop positif qui lui jouait des tours ? Mais il semblait que Kanaeko se détendait, un peu. Aurora continua un instant le va et vient de sa main sur son dos, cherchant par un moyen quelconque à réconforter son aînée que sa légèreté avait mis dans cet état. Puis l’idée vint, et elle s’écarta doucement, laissant une main sur son bras comme pour insister sur le fait qu’elle ne la rejetait pas ;

- Tu sais quoi ? Je te laisse te changer, pour que tu te mettes à l’aise, et moi pendant ce temps je nous prépare un petit verre et un truc à grignoter, ça va te remettre d’aplomb, tu verras.

Décidant pour une fois de prendre les choses en main, Aurora se leva, tendant le bras à Kanaeko pour qu’elle s’y agrippe et qu’elle se redresse, elle aussi, un large sourire qu’elle voulait rassurant fendant son visage encore rosi et bouleversé par la détresse de son aînée qui avait toujours eu des airs de force inébranlable à ses yeux.