Jolie petite histoire...
La plume s'était échappée des doigts de Belladone, maculant le bureau de chêne de l'encre dont il venait d'immerger la pointe. Elle voletait au-dessus du parchemin jauni, vierge encore de son écriture soignée, trop féminine à son goût, sous les rires moqueurs de la classe toute entière qui le prenait sans doute déjà pour un imbécile. Et la jeune coupable le fixait de ses grands yeux d'émeraude délavée, un air de désolation catastrophé sur ce visage si peiné qu'il l'appelait déjà bien trop à la clémence. Ô comme le professeur néophyte aurait aimé offrir un de ses pâles sourires un peu éthérés à l'étudiante, lui dire que tout allait bien, qu’il lui fallait simplement tâcher de s’extirper un peu de la lune vers laquelle son esprit semblait s’évaporer ! Mais le jeune homme avait bien retenu sa leçon, assénée avec beaucoup de virulence, et non sans une certaine exagération et un sens du tragique par ses comparses d’enseignement. Il lui fallait faire preuve d’autorité, dès à présent, sans jamais se départir de ces punitions inflexibles qui devaient suivre le moindre outrage susceptible d’altérer cette belle intransigeance de façade qu’il soupçonnait de parvenir à se composer un jour. Belladone réprima un soupir désespéré. Ce n’était pas lui, ça. Fallait-il vraiment qu’il inflige l’humiliation d’une réprimande à cette pauvre jeune fille qui paraissait si déstabilisée que son visage s’écarquillait d’une honte déjà, que lui avait l’implacable devoir d’aiguiser un peu plus ? Affligé de ce que ses fonctions d’enseignant lui imposaient, le professeur ôta sans conviction cinq points à la maison Serpentard, tâchant d’infliger à la jeune étourdie la punition la moins sévère, n’ayant définitivement pas le cœur à l’envoyer en retenue avec lui pour nettoyer les cages des Chaporouges qu’il faisait étudier aux élèves de troisième année ou de la contraindre à la compagnie morose du professeur Slughorn et de ses innombrables chaudrons à récurer.

Et lorsque Belladone put voir la peine tirer les traits de la jeune fille, qui semblait innocente de toute malice, sous les rires de ses comparses d’études, il put prendre enfin conscience d’à quel point il haïrait cette partie de son nouveau métier. Mais le jeune homme tint bon, réprimant le sourire réconfortant dont il voulait la rassurer, et baissa son nez vers la plume qui était retombée mollement sur son parchemin souillé çà et là de tâches d’encre, parachevant son introduction au cours de défense contre les détraqueurs qu’il avait préparé avec soin au préalable. Belladone n’entendit plus la voix de la pauvre Lavande ce jour-là. La jeune fille semblait murée dans le silence, rendue prostrée par cette punition que lui-même trouvait injuste, tant elle ne l’avait pas méritée. Aussi dût-il se faire violence pour ne pas l’appeler à la fin de son cours pour la rassurer, et voir ainsi s’effondrer en miettes le semblant d’autorité qu’il avait eu tant de mal à instaurer, aux dépens d’une étudiante qui avait eu pour seul tort de partager cette rêverie commune qui le faisait s’égarer si souvent, lui aussi, dans les méandres de pensées brumeuses, bien loin de ces préoccupations terrestres que son âme éthérée semblait vouloir fuir à la moindre occasion.

C’était non sans un certain dépit que Belladone constatait que son étourderie, à lui, n’avait jamais rien fait voler dans les airs. N’en déplaise à ces diktats qui avaient le vent en poupe, relatifs à la corrélation entre la pureté du sang et la puissance magique, le niveau de sorcellerie du jeune benjamin d’une des plus vieilles familles de sorciers au Sang-Pur frisait le néant. S’il y’avait entre cette jeune fille et lui cette coutume de la catastrophe imminente, chaque fois que leurs baguettes s’élevaient et que de leurs lèvres s’extirpaient le moindre sortilège, il sentait chez elle une puissance inexplicable, mal contrôlée et hasardeuse, certes, mais présente malgré tout. Et ce qui semblait un flot de magie impétueux, capricieux et sauvage chez elle, n’était rien d’autre qu’une petite source tarie, coulant avec peine en minces filets dans les veines au Sang-Pur du probable descendant d’une des fondatrices de Poudlard.

Mais Belladone rattrapait cette inaptitude honteuse de l’usage de la sorcellerie par une mémoire exceptionnelle et un sens de la discipline à toute épreuve. Et ce fut un élève brillant malgré tout, peut-être parce que ses désirs de solitude le ramenaient toujours aux confins de cette bibliothèque et de ces livres regorgeant d’histoire qu’il assimilait avec une vitesse affolante ; peut-être était-ce parce qu’il avait accrochée à l’âme cette curiosité d’enfant, dont il ne devait jamais se départir, qui le ramenait toujours aux siècles d’informations consignés religieusement dans ses chers livres, qui lui faisait discuter des heures avec les fantômes qui hantaient les couloirs de l’école, qui lui donnait ces sourdes envies de voyages, qu’il assouvirait à l’occasion de la rédaction de sa thèse. Mais c’était en sa nullité magique, surtout, qu’il tirait cette discipline chevronnée des études, qui le sauverait d’une scolarité de cancre, et en ferait même un élève apprécié du corps enseignant. Il en avait eu une telle honte, de cette insignifiance en la matière, qu’il lui avait semblé prendre sa revanche sur tous ces élèves, ceux qui parvenaient à métamorphoser leur rat en verre de cristal, quand, malgré ses incantations marmonnées avec la force du désespoir, l’animal continuait de le regarder avec des yeux ronds. Et comme il se souvenait avoir eu mal, en troisième année, lorsque le professeur de Défense Contre les Forces du Mal avait félicité la classe entière, enfin parvenue à se défendre face à l’épouvantard qu’ils combattaient, alors que de sa baguette ne s’obstinaient à s’extirper que des minces volutes de fumée blanchâtres ! La classe avait ri, et le jeune garçon avait pleuré longtemps ce soir-là, les larmes coulant en silence sur l’oreiller au creux duquel il avait enfoui son visage, malheureux comme les pierres, au fond, de n’être pas l’égal des autres. Pourtant son intelligence, sa mémoire, restaient indéniablement exceptionnelles, comme si ses lacunes évidentes en matière de puissance magique s’étaient déversées dans les affres de ce cerveau qui paraissait insatiable à l’information.

Personne n’aurait parié sur Belladone pour un poste aussi prestigieux que l’enseignement de la Défense Contre les Forces du Mal à Poudlard. Il n’oublierait pas le regard quelque peu atterré du Professeur Slughorn, qui avait été son Maître des Potions lors de sa scolarité, lorsqu’il fut annoncé qu’il avait décroché ce poste renommé et désiré de sorciers si prestigieux. Il était rare que Belladone n’aime pas quelqu’un. S’il n’éprouvait ni haine ni conflit réel pour son nouveau collègue de travail, le jeune homme n’avait nulle sympathie pour cette mentalité superficielle qui lui faisait s’intéresser aux élèves de familles de renom et à ceux qui se prédisposaient à un talent en particulier. Cela relevait à ses yeux d’une injustice mesquine et d’un favoritisme éhonté dont il s’était juré de bien se garder lorsqu’il avait accepté le poste de professeur. Belladone avait, au début, fait les frais de la futilité de cet intérêt pour les prestigieuses familles de sorciers. Et, à l’humiliation du dédain que le Maître des Potions lui avait rapidement témoigné, constatant son insignifiance irrécupérable en matière magique, s’était mêlée une pointe de satisfaction, ravi au fond de lui de renverser là les stupides présomptions du professeur, relatives à la renommée du Sang-Pur et aux noms de sorciers illustres.

Pourtant Belladone conservait au fond de son cœur ce qui avait été pour lui un merveilleux souvenir avec le professeur Slughorn. Il commençait à peine sa sixième année à Poudlard, et peut-être même était-ce le premier cours de Potions. Il était parvenu à réaliser l’Amortentia réclamé par le professeur, et ô comme les effluves qui s’étaient évaporées de son chaudron avaient fait ressurgir les meilleurs souvenirs de son enfance ! Au fond de cette salle de classe embuée de la concentration des élèves, il s’était revu, avec une force qui l’avait estomaqué, parcourir d’un air émerveillé l’odeur légèrement rance des livres qu’il parcourait avec délectation depuis son plus jeune âge, se terrant des heures au fond de la bibliothèque du manoir familial. Il s’était souvenu de l’odeur délicate des roses du jardin, dont il venait respirer le parfum douceâtre en secret, s’extirpant de sa chambre le soir venu pour le simple délice de s’égarer dans la contemplation des arbres éclairés par la blondeur de la lune. Et, de par cette odeur de thé à la cannelle qui s’extirpait, presque insidieuse, de la potion fraîchement préparée, il s’était revu aussi entre ses deux parents, autour de ses frères et sœurs à table, lors de ce rituel qu’il avait tant aimé, ce petit déjeuner dominical qu’ils prenaient toujours ensemble, au complet. La cannelle, la rose et le parfum un peu âpre des pages vieillies serait son Amortentia, et la douceur de ces effluves auraient pu suffire à la définition du caractère naturellement enclin à la tendresse de Belladone, qui ne se durcirait guère à l’âge adulte. Et c’était bel et bien cette personnalité trop tendre qui lui ferait défaut dans ses prérogatives d’enseignant, et qui lui avaient rendu si difficile la tâche d’infliger une sanction à cette pauvre jeune fille dont le seul tort avait été d’être étourdie. Mais le jeune homme ne regrettait rien. La rédaction de sa thèse relative à la magie noire, qui avait eu le mérite de lui faire réaliser ses rêves de voyage autour du monde, serait la plus utile ici, au service des élèves assoiffés d’un savoir dont il disposait, à défaut d’une puissance magique proche du néant à laquelle personne ne trouvait aucune utilité. Belladone était assez lucide pour convenir qu’il aurait fait un bien piètre Auror. Sans doute le Ministère aurait ri au nez de sa candidature, et savoir que la source intarissable que représentaient ses recherches ne serviraient pas à l’éviction des forces du mal le chagrinait tellement que, lorsque l’occasion d’insuffler son savoir aux nouvelles générations de jeunes sorciers s’est présentée, Belladone, reconnaissant et émerveillé par l’importance de la mission qu’on lui confiait, avait accepté avec effusions. Sans doute il n’était pas le sorcier le plus puissant, loin s’en faut. Sans doute il ne serait jamais le pédagogue inflexible dont on attendait fermeté et intransigeance, et sans doute l’ascension d’un si jeune homme à un poste aussi illustre créerait des inimitiés. Mais c’est avec toute la meilleure volonté du monde que Belladone comptait s’acharner à cette mission que l’on avait eu la grâce de lui confier, et c’est pétri de toute cette curiosité insatiable, de cette douceur extrême et de l’impressionnante source de savoir qu’il avait accumulée qu’il tâcherait de la mener à bien.

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