Octobre 1942

Kanaeko ne s'était rendu compte que trop tard qu'il était très mal venu, pour elle, d'essayer de rassurer son professeur sur ce point-là. Elle n'avait pas assez pesée le poids de ses mots à l'ancien mage noir et cela aurait pu lui valoir ses foudres. Lorsqu'elle releva les yeux, elle vit en effet un certain agacement sur son visage ce qui la fit déglutir. Oui, elle était visiblement allée trop loin... Il est difficile de trouver les mots, surtout qu'il n'y avait pas plus piètre orateur qu'elle. Cela devait faire bizarre à un mage aussi doué pour rallier les foules par des paroles si finement choisit d'entendre parler une adolescente aussi maladroite, surtout sur des choses aussi personnelles. Néanmoins, il ne lui en fit pas la remarque, ne laissant même pas ce ton glacial apparaître dans ses propos. Il avait parlé avec un calme qui n'était pas sans lui rappeler, encore une fois, un autre professeur qui avait fait du calme et de l'oration parfaite son credo. Plus elle lui parlait, plus elle trouvait des similitudes entre Grindelwald et Dumbledore.

Ses paroles, bien que dites avec calme, avaient refroidit la jeune élève, lui donnant l'effet d'une douche froide qui fit disparaître le patronus. Qu'avait il bien pu se passer pour qu'il eut besoin de lever sa baguette ?... Bien entendu, ne s'appuyant que sur sa propre expérience, elle ne pouvait qu'imaginer ce qu'il aurait pu se passer : on l'aurait surpris avec un garçon, cela n'aurait pas plus et quelqu'un aurait été blessé ? Sa pensée alla se joindre à celle que Grindelwald eut un instant plus tôt : Si elle avait été plus âgée, lorsque sa mère l'avait surprise avec une fille moldu, elle aurait sûrement sorti sa baguette et n'aurait pas hésité une seconde pour défendre Nozomi et sa famille... Mais si quelqu'un avait été blessé, cela aurait été bien pire. Elle hocha finalement la tête et fini par lui dire, tournant sa baguette entre ses doigts :

« Veuillez m'excuser... Je n'étais pas en droit de vous tenir ce genre de propos. »

C'était sûrement pire que tout et il n'était pas étonnant que le professeur de rune en porte encore le lourd fardeau. Il y avait de forte chance pour que, ce qu'il s'est passé ce jour-là, soit devenu le point de départ de sa croisade sanglante. Comme il venait de le dire, il fallait chérir les bons souvenirs et avoir une pensée à ceux qui n'en ont pas. Mais qui aurait si peu de chance ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, Kanaeko ne pensait pas à Lavande, n'en sachant au final que peu sur sa vie privée mise à part qu'elle avait comme meilleure amie la belle lionne de Gryffondor et qu'elle est née-moldue. Non, elle pensait plus à Desiderata Rosier. Cette fille, bien qu'une vraie menace pour l'école, lui faisait de la peine. Peut-être étais-ce dû à sa bouille d'ange ou à son jeune âge ? Le plus triste était qu'elle avait été élevée dans les pires conditions possibles et baignée très jeune dans les idéaux fascistes de sa famille. Elle était persuadée que la jeune fille ne pourrait jamais, de toute sa vie, faire de patronus. Dans tous les cas, avec un tel fardeau sur le cœur, elle doutait beaucoup que Grindelwald arrive encore à faire un patronus.

La remarque de l'ancien mage noir concernant le sortilège de la jeune sorcière la fit sourire doucement, non sans une certaine fierté. A l'évocation de Têtenjoy, elle dût retenir un rire moqueur... Car oui, elle s'était déjà fait grondée par cet homme en face d'elle pour avoir osé critiquer un de ses professeurs, mais l'on pouvait lire sur son visage qu'elle trouvait amusante l'idée que Têtenjoy lui ait appris à faire apparaître un tel sortilège.

« Non... Oui... J'ai appris durant l'été. Enfin, j'ai commencé à m'entraîner l'année dernière en secret, mais je n'arrivais à faire qu'un patronus basique. On apprend beaucoup dans les livres, mais ce sortilège est d'une trop grande complexité. Du coup... Ma mère m'a aidée cet été. Elle m'a donné les conseils qu'il me manquait. C'est le seul sortilège que l'on lance, non pas avec sa tête, mais avec son cœur au final et ça, ce n'est écrit dans aucun livre. »

Comme pour elle, le patronus de sa mère renvoyait à son seul amour. Il s'agissait d'un grand loup argenté, renvoyant à la divinité de la lune dans la mythologie japonaise, divinité adorée par son mari. C'est en voyant ce sortilège qu'elle avait compris à quoi (ou plutôt, à qui) penser pour faire apparaître un patronus corporel... Inutile de dire que la vue de la gazelle par sa mère avait quelque peu refroidit leur relation à nouveau jusqu'à la fin de l'été, comme-ci Nelly espérait que sa fille deviendrait plus... normale ? Ce souvenir fit soupirer Kana qui observa son professeur et décida, finalement, de changer de sujet :

« Monsieur, je ne veux pas abuser... Mais nous nous sommes rencontré ici parce que nous cherchions, à peu près, la même chose : nous entraîner, faire un peu de sport moldu. Je... Je voudrais savoir si vous accepteriez de m'entraîner à nouveau un jour prochain ? Oh, je sais que c'est un peu contraire au règlement, mais cela peut être intéressant, voir amusant, pour nous deux. »

Elle le regardait l'air un peu intimidée, mais ses yeux brillaient d'excitation. Bien que l'homme en noir était très impressionnant sur bien des points, elle l'appréciait de plus en plus et, quitte à risquer de subir ses foudres, elle espérait qu'il accepterai de l'aider. Cela, en plus, lui permettrait à lui aussi de se dérouiller un peu.

Octobre 1942.

Hantsuki semblait avoir compris qu’elle avait oublié où était sa place. Malgré cela, malgré son impertinence et son audace, Grindelwald ne lui en tint pas rigueur. Il s’agissait bêtement d’une erreur d’adolescente, une certitude d’ignorant juvénile. Face à ces excuses dont il ne doutait pas de la sincérité, le mage noir haussa les épaules avec indifférence. Cette petite indélicatesse était déjà oubliée et appartenait au passé. Fut un temps, oui, peut-être aurait-il ressenti un agacement certain face à cette situation. Mais il avait espoir que toutes ses pensées sombres, sa soif de sang, s’étaient taries avec les années et les Détraqueurs. En réalité, il ne ressentait aucune colère à l’instant présent, ce qui, il trouvait, était un progrès certain. Un certain silence s’installa entre eux, un silence dont Gellert profita pour finir d’enlever le sang qui restait encore sur son visage. Au moins, il pourrait retourner dans ses quartiers sans que l’on lui pose trop de questions. Il espérait juste que ce ne fût pas le branle-bas de combat à l’extérieur de la Salle sur Demande suite à sa « disparition ». Il savait qu’il jouissait d’une souplesse nullement justifiée de la part des Aurors, mais il préférait éviter d’attirer trop l’attention également.

La conversation se déporta sur le sortilège du Patronus, véritable petit exploit réalisé par la jeune Serpentard. Grindelwald n’avait jamais douté des capacités et du potentiel de la jeune fille mais il devait avouer l’avoir certainement sous-estimée. Il se contenta donc de l’écouter religieusement, ne désirant pas l’interrompre. Ainsi, son professeur de Défense Contre les Forces du Mal ne lui avait rien enseigné et elle avait quasiment tout fait par sa simple détermination. Gellert ne put retenir une moue impressionnée. Même informe, parvenir à produire une esquisse de Patronus, seule, restait parfaitement satisfaisant. Il eut alors un léger sourire en pensant que ni lui, ni Belladone, actuel professeur de Défense Contre les Forces du Mal, n’étaient probablement capables lancer un si beau Patronus. L’un, malheureusement à cause de la faiblesse de ses pouvoirs. L’autre, à cause de son cœur. Comme l’avait dit Hantsuki, suite aux conseils de sa mère, ce n’était pas un sortilège qu’on laissait avec sa tête ou son esprit. C’était la force de l’âme et des sentiments. Si Grindelwald n’avait pas passé la quasi entièreté de sa vie à se mentir à lui-même, peut-être parviendrait-il à lancer un Patronus aussi beau que le dernier qu’il avait produit, quarante ans auparavant.

Perdu dans ses souvenirs, un voile maussade se posa sur le regard vague et de Grindelwald. Tout paraissait si dur, désormais. Il en venait même à douter de la propre force de ses pouvoirs : étaient-ils toujours aussi importants ? Beaucoup de sorciers ayant fait Azkaban perdaient de leur magie, en plus de leur stabilité mentale. Lui qui avait été torturé par lui-même et les Détraqueurs pendant quinze ans, s’en était-il sorti indemne ? Maintenant qu’il avait ouvert les yeux sur certaines choses, était-il devenu, au contraire, plus fort ? Dumbledore était convaincu que l’amour était la plus puissante des magies, domaine dont Grindelwald avait toujours eu peur et qu’il avait toujours perçu comme une faiblesse. À présent, il comprenait mieux ses propres failles. Si Hantsuki était parvenu à produire un Patronus à son âge, alors elle savait certainement maitriser la magie la plus pure aux yeux du plus grand sorcier du monde à l’heure actuelle. Rien que pour cela, elle méritait le respect de toute la communauté sorcière. Ses ASPIC se déroulaient en fin d’année. Peut-être cela valait-il le coup de le signaler à ses examinateurs ? Il le signalerait aux professeurs Raven et Slughorn. Ce dernier, après tout, était connu pour avoir le bras long, en plus d’être le directeur de la maison de l’élève. Il semblait improbable qu’il ne connût pas les inspecteurs.

La jeune fille lui proposa alors quelque chose d’assez inattendu et pourtant, il n’en fut pas surpris pour autant. L’entraîner ? Il la regarda quelques instants, restant silencieux, pesant le pour et le contre. Il entraînait déjà Lavande, pour des raisons évidentes : sa camarade de maison avait pris un énorme retard au niveau de la pratique magique, la plupart de ses professeurs ayant baissé les bras suite aux maladresses et aux pouvoirs incontrôlés de l’adolescente. Mais Hantsuki n’avait pas besoin de lui. Elle s’était très bien arrangée sans lui jusqu’à présent. Le Patronus était la preuve formelle de ses grandes capacités et son incroyable débrouillardise. Il esquissa un sourire et finit par baisser brièvement les yeux. Son plein potentiel bouillonnait en elle et cette chaleur se ressentait à des mètres d’elle. Une volonté de fer, trempée dans un caractère brûlant et portée par des épaules possédant une puissance indéniable et encore endormie, se réveillant tout juste. Elle lui rappelait lui, au même âge, la colère et la haine en moins. Il croisa les bras, un sourire malicieux aux lèvres, plaçant son regard hétérochrome dans celui asymétrique de Hantsuki. Il garda le silence quelques instants, continuant de jauger son élève. Beaucoup de curiosité animait le cœur de Grindelwald à l’égard de la Serpentard : jusqu’où irait-elle, si elle était entraînée de la meilleure façon qui soit ?

— En toute honnêteté, je ne vois pas ce que je peux t’apprendre de plus. Peut-être dans les arts martiaux moldus, il y aurait deux trois petites choses à revoir mais tu ne trouveras pas souvent un sorcier capable de se défendre à la seule force de ses poings s’il se retrouvait désarmé.

Son sourire resta intact tandis qu’il restait immobile et droit, les mains dans le dos.

— J’en parlerai à Dumbledore. C’est effectivement contraire au règlement et je ne suis pas certain que les autorités perçoivent ceci d’un bon œil. Après, peut-être que je pourrais faire passer cela sous forme de cours, ou autre. Tout le monde n’est pas forcément intéressé par le Quidditch et l’exercice physique est un bon moyen de se nettoyer l’esprit.

Il se sentait en effet léger, apaisé et comme qui dirait purgé. Purgé de cette sensation qui lui griffait les entrailles et l’échine chaque soir. La fatigue de ses muscles berçait agréablement son cerveau. Il regarda pourtant la baguette d’Hantsuki, tenté de savoir si, dans cet état d’esprit proche de la plénitude, il était capable de produire un Patronus aussi beau que l’élève en face de lui. Il revint cependant vite à la réalité. Non. La forme qu’il prendrait était bien trop explicite sur l’idée du sorcier qui avait empoisonné son cœur. De plus, l’apparence du sortilège était bien trop insolite pour laisser croire à une pure coïncidence. Il reporta son regard sur les yeux vairons de la jeune fille et rétablit son sourire doux et malicieux.

Octobre 1942

Il s’agissait là d’une question intéressante que s’était posée, en effet, la jeune femme. Est-ce que Gellert Grindelwald pouvait encore faire un patronus ? Elle n’eut pas longtemps à réfléchir pour que la réponse à sa question ne lui parvienne. Déjà, il fut un mage noir par le passé et ceux-ci ne peuvent que très rarement lancer ce genre de sort, n’ayant pas de souvenir assez puissant et assez heureux pour générer le dit sortilège. Mais, avec ce que venait d’apprendre Kana, il y avait des chances pour que, quelque part dans son passé, il ait connu un bonheur suffisant pour effectuer un patronus. Néanmoins, après quinze ans d’Azkaban, il y avait bien peu de chance pour que son esprit soit en mesure d’être assez fort pour appeler un souvenir assez puissant pour incanter le sort… En vérité, il s’agissait d’un véritable miracle qu’il n’y ait pas laissé sa raison et ses pouvoirs. Dans tous les cas, plus elle le connaissait, plus Kanaeko était comme fascinée par cet homme qui, en se révélant de plus en plus, donnait d’autant plus envie à la Serpentard d’en savoir plus sur son passé. C’était pourquoi elle voulait passer plus de temps avec lui, à s’entrainer et à lui parler.

Pour le moment, il semblait pris en pleine réflexion, souriant légèrement, baissant les yeux par moments. Elle se demandait bien ce qu’il allait répondre à sa proposition car, il semblait à la fois tenté et réservé à cette idée… Kana leva légèrement un sourcil en souriant, le regardant avec un air de défi non dissimulé. Quoi de mieux pour une future Auror que s’être entrainée par un ancien mage noir qui, en plus, la comprenait dans tout les sens du terme ?

Sa première réponse lui fit baisser les yeux, un peu déçue mais, elle ne pouvait le contredire. Aucun sorcier ne sait se battre proprement à main nu… Ce qui est d’autant plus stupide quand on sait que, la plupart d’entre eux, ne savent même pas lancer un sort sans baguette ! Bien sûr, Kana ne sait pas lancer de sort sans baguette et c’est justement pour cela qu’elle voulait apprendre tous les moyens de défenses qui pouvaient l’aider. Finalement, l’ancien mage noir se proposa d’en parler à Dumbledore, ce qui redonna confiance en la jeune femme et, à nouveau, un large sourire s’étira sur son visage. En effet, rien n’empêchait d’autres élèves de se joindre à eux ! Sans doute de nombreux né-moldus seraient intéressés par ce genre de sport et elle pourrait sans doute proposer à Darragh de se joindre à eux ?

Elle vit le regard du mage noir se poser sur sa baguette mais elle n’en dit rien… Sans doute la magie lui manquait. Oh il n’a pas besoin de cela normalement pour lancer un sortilège, mais il est vrai que, sans sa baguette, la jeune sorcière se sentirait elle-même nue, vulnérable. Mais, le moment de la lui prêter n’était pas venu. Pas encore. Déjà parce que celle-ci était extrêmement têtu et peu de personne pouvait l’utiliser. Peut-être, qu’un jour, elle lui prêtera la baguette d’Acacia mais, pour le moment, il ne le demandait pas et, elle, ne se sentait pas prête à lui offrir ce geste de confiance qui, officiellement, reviendrait à trahir Poudlard et pourrait lui coûter la vie (même-si, à présent, elle n’y croyait pas). Elle la rangea à sa ceinture de tissu alors qu’il lui sourit à nouveau et elle s’inclina, comme le lui avait appris son père, par pur respect… C’était la première fois qu’elle utilisait cette forme de politesse avec quelqu’un d’autre que son père.

« J’espère qu’il répondra favorablement, monsieur. Ce fut vraiment très instructif et je vous en remercie pleinement. J’aimerais tout de même m’améliorer. Qui sait, si un jour je dois affronter des moldus, autant que je leurs offre une chance de combat à la loyale ?... »

Elle souriait, amusée à cette idée bien qu’il n’y ait que peu de chance pour que cela arrive un jour.

« Je serais présente dans cette salle tous les samedi soir… Mais, je pense qu’elle est libre le reste du temps… »

Il s’agissait à la fois d’une invitation à venir quand bon lui semblait, mais aussi à l’éviter s’il voulait simplement s’y retrouver seul (ou accompagné de quelqu’un d’autre). Après tout, cet endroit n’appartenait pas à Kanaeko. Il faisait partie de Poudlard et, de ce fait, il appartenait à tous les sorciers qui y vivaient.

Après un dernier échange de politesse, le mage noir se retira et la jeune femme put se déshabiller et se laver dans la douche qui se trouvait dans un coin de la pièce, rendu heureuse par ce moment d’échange… Elle était décidée, le lendemain, à se mettre au travail pour écrire une lettre à son amour d’enfance, espérant qu’elle ne l’ait pas oublié, ou pire, haït avec le temps.