Hiver 1936.

Cela ne faisait pas plus de trois mois que la jeune fille était arrivée dans ce monde merveilleux qu’était Poudlard. Ces premiers jours furent compliqués, à devoir faire face à l’incompréhension de ses camarades devant ses origines, puis leurs moqueries. Elle avait mal au coeur de se retrouver au milieu d’un cachot sombre pour seule chambre ; quand bien même l’endroit était d’une beauté à couper le souffle de par ses nuances architecturales et ses flammes vertes. L’apprentie-sorcière ne tarda pas à subir quelques bizutages qu’elle prenait au départ pour un simple rite de passage se révéla n’avoir jamais de fin. Les langues fourchues l’insultaient d’être normale quand ceux qu’ils appelaient « moldus » l’insultaient d’être bizarre. Cette situation pénible ne l’avait pas empêcher de vouloir donner le meilleur d’elle-même. Si Lavande avait été appelé à cet école, ce n’était pas pour rien. Elle comptait prouver à tous ces autres méchants élèves qu’elle n’était pas un monstre.

Malheureusement, les choses ne se passèrent pas comme prévu. Ses premiers cours théoriques lui mirent des étoiles dans les yeux, et rarement élève n’aura été aussi attentive, gobant les paroles des professeurs comme vérité sur terre. Mais lorsque vinrent les exercices pratiques, Lavande fut prise de panique. D’abord voué à d’évidents échecs, ses premiers sortilèges ne furent pas exactement ce que l’on attendait d’un élève de premier année. De la magie violente, cataclysmique, causant plus l’effroi que l’admiration et manquant plus d’une fois de causer de graves blessures à son entourage. Bien entendu, il viendrait durant ses cinq années d’études de nombreuses fois où elle enverrait des étudiants à l’infirmerie -et ce jusqu’à ce qu’elle ne confine définitivement autant que possible sa magie en elle.

Sa première retenue fut extrêmement douloureuse. L’idée que son enthousiasme puisse être punissable lui creva le coeur. Sa petite âme de onze ans fut profondément bouleversé, se demandant ce qu’allait dire sa mère avant de songer que celle-ci n’en avait rien à faire de ses études de sorcière. Cette solitude l’attrapa par la gorge et la plongea dans un sommeil lourd et apathique : après tout à quoi bon ? Il fallait un long moment pour la fillette de se mettre à la page. Finalement, ces retenues qui pleuvaient dans son sillage lui étaient grâce. Durant ces moments enfermé dans différentes salles et bureaux, le nez coincé sur des bouquins à n’en plus différencier le noir du blanc, Lavande était le plus souvent seule. Il n’y avait personne pour se moquer d’elle ou pour piéger son lit dans le dortoir. Personne ne lui cherchait des noises pendant qu’elle travaillait sur ses lourds parchemins poussiéreux. Au final, ces retenues étaient comme des bulles de paix que Lavande n’aurait éclaté pour rien au monde.

Ce soir-là, le professeur de Défense contre les Forces du Mal l’avait posé sur une table de la Salle d’Étude -sans autre fioriture. Il était à deux doigts d’appeler le concierge, fatigué de devoir toujours surveiller cette idiote qui n’était de toute façon pas un danger tant qu’on la privait de sa baguette. Il n’y avait pas un seul bruit dans cette haute pièce aux arcs de pierres séparant les quelques tables en chênes tiédies par les rayons de soleils qui avaient creusé les vitraux toute la journée. Lavande lisait un livre « Théorie des stratégies de défense magique » de Wilbert Eskivdur, ce qui était le seule bouquin dont elle pouvait véritablement potassé la moindre virgule. Au mieux pourrait-elle devenir un général de guerre ? Si elle savait comment défendre et donner des ordres, elle n’aurait plus besoin d’utiliser sa magie !

Perdue dans ses pensées et ouvrant le premier paragraphe de son livre d’étude, Lavande n’entendit pas les bruits du professeur revenant derrière elle, accompagnée d’un autre élève dont elle ignorait tout de la présence.

Journal de Kana, hiver 1936

Quand on se lève et que l’on se rends compte qu’une camarade très intelligente s’était amusé à voler ma baguette durant mon sommeil... En même temps, je l’ai un peu provoqué. Elle se ventait avec son sang pur et s’amusait à rabaisser chacun des élèves présents… Et plus particulièrement une jeune de première année qui galérait un peu en cours en ce moment mais bon, en même temps, qui ne galère pas un peu à lancer ses sorts les premières fois, et ce n’est pas qu’une question de sang ! En tout cas, c’est moi qui ait eu un coup de sang à cet instant et qui l’ai privé de sa baguette avec un sort de désarmement… Sort qui a bien fonctionné car sa baguette a volé vers moi .  Il a suffit de tendre la main pour la saisir et pointer la baguette de cette pauvre c****. Ahah ! Que c’est jouissif de menacer ces têtes de pioches avec leurs propres affaires !

Évidemment, elle a voulu se venger. Alors, je l’ai retrouvé dans la salle commune à me menacer avec ma propre baguette. J’ai soupiré doucement. Quelle idée de vouloir me rendre la monnaie de ma pièce ?... Elle ne connaît visiblement pas le caractère de merde de ma baguette… Ayant confiance en cette dernière, je me suis appuyée contre le mur et je l’ai narguée, la laissant lancer le sort qu’elle souhaitait… Mais rien ne partit. Monsieur Ollivander m’avait prévenu à l’époque. Les baguettes de bois d’acacia sont particulièrement têtues et dévouées. Du coup, ridiculisée une fois de plus, elle a jeté ma baguette au sol et est partit en pleurant disant qu’elle allait le dire à son père… Bin voyons. Je récupère ma baguette… Au moins, elle n’avait rien… en apparence du moins.

Néanmoins, dans la journée, cette fichu brindille est devenu folle. Tantôt elle ne fonctionnait pas, et parfois elle fonctionnait… Pas comme je le voulais. J’ai quand même failli transformé le Professeur Dumbledore en verre à pied… Une chance il a esquivé le sortilège et c’est son oiseau qui a prit. Bon, heureusement, ce prof là est très sympathique et l’a prit avec humour, ayant bien vu que je ne le visais même pas. Mais le professeur de défense contre les forces du mal… Bah il l’a un peu moins bien prit quand j’ai fait brûler (accidentellement bien sûr), les cheveux de la fille qui m’avait volé ma baguette. Oups. Bon… Au moins, on ne va pas venir me chercher des noises de si tôt ! (Et, étrangement, depuis ce jour, personne n’a essayé de me voler ma baguette à nouveau…)

Bref, c’est ainsi que je me suis retrouvée, ce soir là, en retenue. Mais, très honnêtement, ma motivation à m’y rendre était inexistante. Je ne voulais qu’une chose, s’était me glisser dans un coin vide du collège et gratter un peu les cordes de la guitare que m’avait offert mon père pendant les vacances, histoire d’oublier cette épouvantable journée. C’est à reculons que j’y suis aller, arrivant quelques minutes en retard même… Le professeur était furieux de ce retard et me fit la moral. Je ne l’écoutais même pas et fut intriguée de voir que je n’étais pas seule dans la pièce et d’autant plus intriguée en voyant qu’elle portait, elle aussi, les couleurs de notre maison. Finalement, je la reconnu ! C’était la fille qui s’était faite martyrisée la veille… Je m’installe alors à la table voisine, me demandant ce qu’elle avait bien fait pour être ici. Après tout, avec cette bouille d’ange innocent et ses airs de fille sérieuse… Nan mais vraiment, ce prof c’était du grand n’importe quoi… Bref, je secoue la tête et sort ma baguette, commençant à murmurer à cette dernière :

« Bon, arrêtes tes bêtises maintenant… Je n’ai pas envie de rester ici toute la nuit, d’accord ? Si tu es sage, je te jure de prendre bien plus soin de toi à l’avenir et c’est promis ! »

Je sais, personne ne parle à sa baguette… Mais bon, il n’y a que moi, cette fille, et ce bon à rien de prof qui ne remarque pas depuis tout à l’heure qu’il est en plein monologue… Je regarde un peu plus discrètement vers la voisine et regarde ce qu’elle lit.

« Euuuuh… c’est ta punition ? »

Franchement, ça ne m’étonnerait pas. Qui s’intéresserait à cela plutôt qu’à l’apprentissage des sortilège de défense en eux même ?

Hiver 1936.

Le livre ne manquait pas d’intérêt. Écrit afin de ne pas avoir besoin de déployer un seul sortilège, celui-ci possédait un index entier à comment réagir selon diverses situations. Vivre la magie par procuration n’aura jamais été aussi intéressant. Une telle lecture s’avérait pourtant tristement frustrante pour la petite fille. Personne ne rêvait à onze ans de se plonger dans de gros livres poussiéreux relatant des choses que l’on ne pourrait objectivement jamais faire de sa vie. Cherchant à s’évader dans des rêves de gloire, l’élève s’imagina auréolé d’une troupe de sorciers buvant ses paroles – comme tout autant de baguettes pouvant répondre au moindre de ses envies. C’était une carrière comme une autre : s’il y avait des généraux guerriers chez les Moldus, il devait bien y en avoir chez les sorciers aussi. Elle serait capable de démontrer tant d’ingéniosité et d’esprit stratège que les mages plieraient devant elle. Bientôt, ses yeux ne purent plus se concentrer sur les lettres et son menton se posa nonchalamment dans la paume de sa main.

La porte s’ouvrit en grand ; le professeur en revint avec une autre fille, que Lavande se souvint avoir vu dans la salle commune. Elle avait désarmé une de ses harceleuses, qui s’amusait à ses dépens. A son approche, Lavande fit un bref sourire timide – mais elle ne le vit pas. Comprenant qu’il n’était pas aisé de se saluer avec l’homme à côté, elle baissa tout simplement la tête sur son livre. Au retour de ces paragraphes lents autour de la notion d’encerclement de son adversaire, comment le désarmer sans qu’il ne s’en rende compte et quelles étaient les incantations parfaites pour éviter la confrontation directe. Des sorts qui lui auraient été d’une grande utilité si l’élève avait été capable de proférer la moindre magie. Mais cela devait lui être utile un jour ou l’autre. Peut-être d’ici-là parviendrait-elle à faire bon usage de ses armes. L’autre fille en retenue s’assit non loin d’elle, avant de se mettre à parler à sa propre baguette. Lavande ne s’en offusqua pas. Il y avait chose bien plus étrange pour ceci soit un problème, peut-être était-ce même normal et la jeune fille devrait s’en inspirer. Décidément peu motivée à travailler, l’élève dissidente se retourna vers elle et lui demanda si son livre était sa punition. Question à laquelle Lavande ne fit qu’hausser les épaules avec un petit sourire désolé :

— Pas vraiment, enfin si mais… je t’assure que c’est intéressant !

En pure introvertie, la petite fille essayait de faire preuve d’un enthousiasme mesuré mais sincère. Sa   bouche en bec de lièvre remuait comme celui d’un petit animal sauvage. Ses yeux suivaient les ombres de la salle, cherchant le professeur du regard. Ce dernier était encore parti, probablement pour aller chercher le concierge afin d’avoir la paix avec les étudiantes. À quoi bon surveiller des pommes pourries, il n’y avait plus que des vers dans leurs nerfs. Lavande continua donc, revenant d’une page en arrière dans son bouquin et jetant un coup d’œil à ses prises de notes. D’une douce voix, elle s’appliqua à rendre ce qu’elle en avait retenu et surtout appris à la virgule près. Non pas que lavande ne faisait que réciter le livre, c’était plus mieux que cela ; elle les utilisait dans des exemples concrets – même si potentiellement improbable dans le monde des sorciers (chose qu’elle ignorait). Voilà toutes ces choses qu’elle aimait apprendre, à défaut de ne pouvoir le pratiquer. Imaginez une seule seconde que Poudlard soit un jour attaquer par de sombres créatures démoniaques de la dimension parallèle !

Bien évidemment, le fait qu’aucune indication sur comment formuler un sort ne lui avait pas traversé l’esprit. Cette lacune lui semblait normal. Après tout, peut-être qu’il lui manquait des points de théories cruciales avant de pouvoir se lancer dans des sortilèges que tout le monde prenait pour acquis. La majorité des élèves ici possédaient au moins un de leurs deux parents comme étant sorcier. En ce qui concerne les gens comme elle… peut-être que c’était comme l’apprentissage moldu, que certains enfants étaient juste plus lent que les autres. Cela ne faisait que quelques mois qu’elle se trouvait au château, Lavande n’avait pas encore perdu espoir. Sur son visage ne reflétait que les douces prémices d’une mélancolie infinie qui serait la sienne quelques années plus tard. Pour le moment, la petite fille quoique timide ne manquait pas de sourire, se demandant si cette rebelle voulait bien devenir son amie :

— Ah et… merci pour l’autre fois, c’était gentil. Pourquoi tu es ici d’ailleurs ?

Il ne fallait pas oublier la politesse ; et Lavande n’en manquait pas. C’était encore une fois la preuve qu’elle ne voulait que bien faire, s’inquiétant véritablement de son prochain et ne souhaitant que voir le bon en chacun. Ah, l’innocence de l’enfance.

Hiver 1936.

S’endormir aux premiers chapitres d’un livre pourtant si prometteur, voilà qui était bien triste. Lavande l’écoutait avec un petit sourire poli. Tout le monde ne pouvait pas être aussi intéressée de théories qu’elle, personne n’en avait non plus besoin. Il était plus simple de se moquer de ces textes quand la magie était tout aussi naturel que respirer. De plus, on ne trouvait que rarement des élèves catalogués « intellos » dans les retenus ; ceux-ci étaient normalement trop sages, immobiles comme des gargouilles à trop vouloir bien faire, ne sortant jamais des limites et des danses exigés par les professeurs. Si Lavande n’avait pas eu cette étrange particularité, certainement aurait-elle été l’une de ces personnes trop bien-pensantes et fade comme la pluie. Pourtant même la pluie avait cette aigre douceur au fond de la gorge qui se faisait remarquer.

La rebelle s’assit à ses côtés, rendant la jeune enfant légèrement mal à l’aise. Elle n’avait pas l’habitude que les inconnus l’approchent d’aussi près seulement par gentillesse. Pourtant, celle-ci commença à lui répondre d’une certaine verve qu’elle en avait marre des gens hautains, et que tous étaient des sorciers quoiqu’il arrive. A ces mots, Lavande se détendit et sourit en hochant la tête. C’était bien vrai, elle ne pouvait qu’acquiescer. Tant qu’elle était encore capable d’exploser quelque chose du bout de sa baguette, elle restait une sorcière. C’était des mots bien rassurants pour sa petite bouille ronde. Quant à la réponse à sa question, celle-ci se fit un peu attendre avant de prendre forme ; sa baguette était une créature récalcitrante, et son possesseur avait comme quelques ennemis. Lavande avait du mal à croire qu’une baguette puisse choisir sa cible au détriment de sa sorcière, mais se rappelant de ses propres exploits, la mit en veilleuse.

Pendant que Lavande tournait les pages de son bouquin jusqu’à un chapitre qu’elle n’avait pas encore lu, son interlocutrice commençait à réprimander sa baguette parce qu’elle avait envie de travailler ses sorts et non pas de prendre la poussière dans une salle d’étude. Cette vision fit sourire l’élève, bien qu’elle ne souhaitât pas une seule seconde se moquer. Les choses étant ce qu’elle était, Lavande aurait été de bien mauvaise fois en se moquant d’elle. Peut-être qu’elle devrait essayer de parler à sa baguette elle aussi, définitivement. La jeune fille se tourna finalement vers elle, indiquant qu’elle ne ressemblait pas à une délinquante et lui demandant ce qu’elle avait bien pu faire pour atterrir là. C’était à la fois une longue et une courte histoire, cela dépendait de la version. Mais la version courte est tellement plus simple et rapide à décrire :

— On apprenait un sort simple, et j’ai… explosé des trucs, ici et là, malencontreusement. Je ne suis pas très douée avec une baguette magique. (Elle rajouta après un court silence :) Ça doit être pour ça que j’aime ce genre de livres ennuyeux.

Détournant la tête sur ses parchemins d’études, elle prononça ces quelques mots d’un flegme ennuyé. Rien n’était plus embêtant que de devoir rappuyer sur cette petite blessure. Surtout pour l’expliquer à une élève montrant une nonchalance insultante ; en effet, il ne faudrait pas beaucoup à Lavande pour se sentir aigrie de tout son entourage. Ces gens qui finissaient en retenue parce qu’ils avaient visiblement beaucoup trop bien réussi un méchant sort. Après quelques secondes où elle semblât réfléchir, la jeune fille dit :

— Tu sais, je ne te crois pas du tout. Je suis sûre que tu as volontairement lancé un sort de flamme sur cette fille ! En tout cas, elle le méritait bien ; et une baguette suit la volonté de son maître. Tu n’aurais pas cette attitude si tu regrettais.

Lavande Huntergrunt était une fausse calme ; son apparente gentillesse de poupée, la fragilité de sa silhouette enchâssée dans les ombres, ses yeux d’un vert sale presque éteints, tout ceci cachait un verbe acéré qui prouvait qu’elle n’avait pas volé sa place parmi les Serpentard. Déchirée entre deux versions d’elle-même, l’effacée et la guerrière, la jeune fille pouvait passer d’une à l’autre en un quart de seconde. Probablement car elle ne s’était pas encore assez libérée de ces précédentes entraves ; mais après tout, elle n’était pas à Poudlard depuis assez longtemps pour cela. Ce n’était qu’une question de temps.

Hiver 1936.

Même si elle était une fausse-calme, Miss Huntergrunt savait se tenir. Ses paroles avaient été fermes et cinglantes, mais elle n’avait pas levé le ton. Elle mettait tout simplement beaucoup d’entrain à défendre ses convictions, il ne fallait pas être vexé pour si peu. Au final, ce n’était même pas méchant, car elle saluait l’acte de la jeune fille. Cette petite peste méritait effectivement son sort, et ses cheveux auraient du prendre feu depuis bien plus longtemps. Elle aurait pu aussi être changé en crapaud, ça aurait été marrant. Si Lavande avait pu lancer le moindre sort sans non plus causer la mort de son adversaire, elle l’aurait également fait. Et elle en aurait été fière, de s’être défendue. Cela ne méritait pas une punition que de lutter pour soi-même, ou pour ceux dans le besoin. Voir une sorcière se cacher ainsi derrière sa baguette la mettait hors d’elle de dépit et de frustration. Attendez un peu qu’elle réussisse enfin à contrôler sa magie, ce n’était qu’une question de jours.

Finalement, la rebelle lui donna raison, lui demandant par la même de se calmer. Pourtant Lavande se sentait très calme. Ce petit éclat de voix d’une gamine de onze ans n’était rien face à cette douleur quasi-perpétuelle qui lui macérait le ventre, lui donnant envie de hurler en permanence. Elle aurait pu exploser – depuis le temps qu’elle en rêvait et plus encore au fur et à mesure des années. Les paroles de son interlocutrice l’apaisèrent cependant, bien qu’elle hésitât à admettre la culpabilité de la victime. Bien évidemment, elle eut également raison quand elle souligna la stupidité d’avoir fait cela dans une salle de classe ; Lavande pouffa légèrement à cette phrase, retrouvant son innocence. Puis elle s’excusa de l’avoir rabaisser sans le vouloir. En vérité, la petite sorcière n’y avait pas pensé. Elle n’était pas encore aigrie au point de détester toute personne sachant faire de la magie. La seule chose qui l’avait mise en colère ait qu’elle fut à la fois si imbue de son côté rebelle et pourtant rechignant à se vanter du seul acte qui en valait la peine, engueulant cette pauvre baguette qui n’avait rien fait.

— Je m’appelle Lavande Huntergrunt !

Elle sourit doucement, donnant bien doctement son nom complet de manière scolaire et enfantine. Toute l’aura sombre était redevenue invisible, imperceptible autour de sa personne. Ne restait plus que la présence effacée et gênée d’une gamine haute comme trois pommes qui ne touchait pas les pieds par terre, assise sur sa chaise. Pourtant, la jeune fille reprit un air sérieux et reprit :

— Tout de même, cesse d’être méchante avec ta baguette. Elle voulait répondre à tes pensées, d’ailleurs le fait que vous parlez ensemble montre que vous êtes très proches, ça ne m’étonne pas qu’elle ait fait ça… je devrais peut-être me mettre à parler avec la mienne…

A ces mots, Lavande posa sa plume et sortit sa baguette de sa poche, celle-ci était tortueuse, faite comme de plusieurs branches s’entremêlant pour finir sur une pointe fine. Elle la regarda intensément mais fit une moue :

— Je la vois pourtant davantage comme un outil. Elle doit se plier à ma volonté, tout est une question de contrôle, non ? C’est une épée de chevalier…

Les yeux vaguement posés sur le bois cendré, son air se fit plus éteint à mesure qu’elle se concentrait sur ces dires ; petit à petit sa voix se faisait plus douce, plus petite, jusqu’à murmurer la dernière phrase. Une épée qui se devait d’être brandie pour se battre, pour sauver, pour défendre, pour guider. Elle mit sans faire exprès l’accent sur le mot « contrôle » comme s’il avait eu beaucoup d’importance pour la jeune fille. Le contrôle était tout, si l’on ne se contrôlait pas, on explosait. Il était pourtant étrange de voir une petite fille de onze ans devenir aussi cryptique et flippante, peu étonnant qu'elle n'ait pas eu beaucoup d'amis.

Hiver 1936.

Soyons simple et soyons clair : Lavande n’était pas qu’une gentille fille. Passée de la joie à la colère en quelques mois, elle rêvait de devenir générale de guerre pour se venger de ceux qui l’avaient fait souffrir et visualiser sa baguette magique comme une épée de feu à brandir contre les hérétiques. Quelque part dans ses yeux verts et innocents se cachaient déjà une bien sombre créature. De ce genre de blessure que seul guérit l’amour, paraît-il. « C’est la baguette qui choisit son sorcier. » Oui, Mr Ollivander le lui avait dit alors qu’ils en étaient à leur dixième baguette. Lavande, alors paniquée, pensait qu’aucune baguette ne voulait d’elle car elle n’était pas vraiment une sorcière – ou bien ne la méritant pas. Finalement, quand le vendeur était disparu dans les recoins obscurs de sa réserve, revenant avec une boite épaisse et étiquetée d’un nom étranger, Lavande fut soulagée. Cette baguette n’était ni belle ni gracieuse, torturée et inhabituelle, mais la jeune fille s’était tout de suite sentie bien avec. Elles étaient pareilles. Le bois était tout en circonvolution, créant des creux ici et là : tout comme elle, qui se sentait vide, à présent.

Un prolongement du bras, une partie même de notre corps qui n’attend qu’un ordre de notre cerveau pour s’exécuter. En cela, Lavande ne l’aurait pas contredit. En tout honnêteté, elle ne pensait pas non plus que cela contredisait sa métaphore de l’épée. Elle visualisait également cette dernière comme un prolongement de sa volonté, dotée de sa soif de sang propre. Puis vint le discours sur la personnalité de la baguette, une personne à part entière qui s’exprimait, communiquait à sa manière. Lavande fit une silencieuse moue ; n’était-ce pas là une façon de se dédouaner de ses échecs en rejetant la faute sur une baguette trop « indépendante » qui ne se plierait pas à ses ordres ? « Ce n’est pas ma faute monsieur, c’est celle de ma baguette, voyez-vous elle désirait que vous ayez des cheveux roses aujourd’hui, cela vous sied si bien ! » Pourquoi pas. A la question de la rebelle, qui semblait véritablement désireuse de faire sa connaissance, Lavande répondit en détendant les épaules :

— Tu sais pourquoi il n’y a toujours qu’un client à la fois chez Ollivander ? Parce qu’il met toujours à peine un quart d’heure pour trouver la bonne baguette au bon sorcier. Il doit s’ennuyer ferme, le pauvre.

Elle sourit doucement, regardant sa baguette qu’elle avait posé en travers sur les pages jaunâtres de son livre. Mine de rien, elle la trouvait belle. Ses épaules s’affaissèrent et son petit museau remuait en même temps qu’elle parlait, lui donnant l’apparence d’une petite souris. Aussi la jeune fille poursuivit avec fierté :

— Et bien moi j’y suis restée presque une demi-heure ! Ça a été très long de trouver ma baguette… il a même du aller dans sa réserve. Je crois que j’ai une baguette étrangère, il y avait un nom bizarre sur l’étiquette. Elle a un ventricule de dragon, c’est pour ça que je ne fais que des bêtises on m’a dit…

Lavande poussa un petit soupir théâtrale et récupéra sa baguette pour en suivre les anomalies du bout de son doigt. Elle l’aimait quand même sa baguette. C’était la plus belle épée de feu que l’on puisse rêver. La forme de son bois inspirait une certaine crainte, et même si cela la cataloguait un peu plus dans le rang des erreurs, c’était là quelque chose dont elle pouvait être fière.

— Et toi, y’a quoi dans ta baguette ? demanda-t-elle avec curiosité.

Après tout, c’était une conversation réellement intéressante. Les nuages noirs autour de la Miss Huntergrunt s’était enfuie, ne laissant plus qu’un joli arc-en-ciel flânant dans un champ de blé.