Hiver 1936.

L’horloge au coin du mur cliquetait ses longues secondes, imperméable à la magie. Le temps comme la mort ne pouvait être manipuler. Chaque seconde comptait. Des secondes que Lavande perdrait misérablement tout au long de ces années, dans une errance étreinte par trop de douceur. A ce moment-là, elle tenait sa baguette entre ses doigts courts, à la portée des yeux de Kanaeko. Chaussure à son pied, c’était bien vite dit. Si le destin d’un chevalier et de son épée était de semer le chaos tout autour de soi, était-ce vraiment une bonne chose ? Après tout, le destin ne pouvait être critiqué car nul ne pouvait également le contrôler. Mais c’était là des sujets bien trop philosophique pour la jeune fille qui n’y pensait pas le moins du monde, du haut de sa première année au collège. Elle était mature, mais pas encore à ce point. Difficile pourtant de décrire la simplicité de son sourire devant les compliments de sa partenaire de retenue. Oui, sa baguette était hors du commun, tempétueuse et forte. C’était écrit dans les nervures de ses formes.

Contrairement à la baguette que Kanaeko lui tendit, une baguette somme toute d’une étrange normalité, droite et fine. Lavande s’étonna de la délicatesse du bois ; pas une seule bosse ni aucune écharde ne s’échappant de ses marques poncées et vernissées. Son expression fut toute aussi surprise quand elle apprit qu’à l’intérieur se trouvait une plume de phénix, voilà qui n’était pas commun. Lavande aimait bien cette baguette, et ne trouvait pas sa normalité comme un défaut. Après tout, en magie on devait se concentrer sur la pratique et pas sur les apparences, n’est-ce pas ? C’était définitivement une conversation très intéressante. Même si, aux yeux de la jeune fille, son interlocutrice faisait preuve d’un entrain qui semblait forcée ; comme si chaque fois qu’elle élevait la voix était pour relancer l’intérêt du sujet alors que l’on pouvait tout aussi bien parler calmement. Il n’y avait pas besoin de faire semblant d’être un soleil, cela ne lui sied guère. Lavande restait étrangement suspicieuse, avec un mauvais pressentiment en travers de la gorge. Mais elle avait cette sensation devant tous les Serpentard, alors le problème ne venait peut-être pas forcément des autres… Elle rougit quand son interlocutrice pointa combien elle devait être exceptionnelle à cause de sa baguette, puis elle haussa les épaules. Lavande n’était pas si merveilleuse, pas encore. Mais elle comptait bien le devenir, ce n’était qu’une question de temps.

— Ne dis pas ça…, dit-elle quand elle put enfin s’exprimer. J’ai peut-être un peu exagéré sur le temps, puis le fait que je sois différente ne veut pas dire que je suis meilleure… loin de là. Mais je vais travailler dur pour le devenir, ça c’est sûr ! Toi aussi tu feras pareil.

Son jeune âge la rendait encore modeste, mais son ambition n’avait aucune borne. Elle espérait bien des tréfonds de son âme qu’elle était exceptionnelle. Faire ses preuves étaient bien tout ce qu’elle attendait, encore et encore. Kanaeko parla alors de deux créatures de feu à la même table, il est vrai que cela pouvait prêter à rire. Lavande gloussa doucement tout en lui rendant sa baguette et en récupérant la sienne. Entre temps, le professeur était revenu avec le concierge qui se moquait bien qu’elles étaient en train de bavasser. Lavande se maintint au silence tout en les regardant revenir. L’œil sombre du professeur passa sur elles avant de s’en aller dans les couloirs, retournant à ses quartiers pour la nuit ; les laissant alors seules avec un concierge qui s’installa au fond de la salle et se mit rapidement à roupiller en grognant. Il se moquait pertinemment de leurs présences, après tout ce n’était qu’une corvée pour lui. Lavande rit doucement en le voyant si rapidement sombrer, tandis qu’elle tournait la page de son livre :

— Le phénix est un oiseau de feu, il se consume dans son propre pouvoir… tandis que le dragon se sert de ses flammes comme d’une arme, il brûle à l’intérieur de lui en attendant de servir…, dit-elle, les yeux dans le vague, ses ongles tapotèrent le papier jauni. Ouai, j’ai déjà beaucoup lu ! rit-elle ensuite doucement, essayant de détendre l’atmosphère.

Elle adorait lire ; mais plus encore depuis qu’elle avait mit la main sur des livres de sorcellerie. Même si elle ne lisait pas très vite, c’était un excellent moyen de s’endormir le soir, lire les livres de cours. Ce n’était pas amusant, mais imaginer tout ce qu’elle pouvait faire avec ces connaissances lui mettait du baume au coeur. Cela ne faisait que quelques mois, mais elle avait encore peine à réellement croire qu'elle était une sorcière.

Hiver 1936.

Discuter, c’était sympa ; mais si les deux jeunes filles se trouvaient en retenu cette nuit-là, c’était avant tout pour réviser en toute tranquillité et réfléchir sur la portée de leurs erreurs en cas de bêtise. Aussi Lavande était-elle prête à retourner à ses devoirs après avoir prononcer ses dernières paroles comme sentence de sagesse. Elle était contente de savoir qu’elle avait trouvé une âme sympathique même auprès des Serpentard, ce n’était pas rien. Quand bien même la fille en question était une petite rebelle à la langue bien pendue. Lavande revenait en arrière dans ses pages, pour être sûr qu’elle n’avait rien perdu de vue. Ce chapitre, elle l’avait étudié – celui-ci aussi. Même si ce n’était pas très amusant, cela lui donnerait l’avantage. Le feu du dragon coulait dans ses veines, fait d’oxygène et de silence. Elle parviendrait à lui donner une voix, fut-elle obligée de crier par dessus la tempête. C’était ce qu’elle souhaitait, pour ne plus avoir cette impression de vide tournoyant dans son être. Lire et apprendre étaient des façons de combler ce vide, de ne pas être qu’une poupée inutile dans le néant. La nuit avançait et les grognements ensommeillés du concierge ponctuèrent les frottements de la plume lorsque Lavande écrivit l’intitulé du chapitre.

Kanaeko rit avec une étonnante sincérité, la gorge toujours déployée de ses paroles volontaires. Les phénix était des créatures recherchés, appréciés, admirés par le monde entier comme un véritable symbole. Au contraire, le dragon était terrifiant – on le chassait, l’étudiait ; on ne pouvait ni le domestiquer ni le comprendre. Son langage était fait du passé. Peut-être faisait-elle également partie d’un bien lointain passé. Que le monde d’aujourd’hui ne pourrait la comprendre. Mais durant cet instant de silence, son interlocutrice reprit ses dires : complimentant son sourire et sa gaîté – chose rare il était vrai. Elle continua de la féliciter plus qu’il n’en fallait sur ses différences, saluant ceux-ci comme les marques d’un être exceptionnel. Elle lui demanda si elle avait faim. Quand bien même avait-elle bien mangé durant le dîner, comment pourrait-elle dire non à une friandise supplémentaire. Après tout, elle était encore une enfant, et les enfants avaient toujours faim et la gourmandise raccrochée au corps. Aussi acquiesça-t-elle à la question de son aîné et s’attendit à ce qu’elle sorte des brioches de son sac, ou bien qu’elle en fasse apparaître de sa baguette (quand bien même Lavande avait des suspicions quant à la formation même de la nourriture magique, mais elle se posait bien trop de questions bêtes pour son jeune âge).

Mais la rebelle se leva de sa chaise et alla voler les bonbons du concierge pour revenir, sous les yeux effarés de Lavande. Voler était un acte répréhensible ! Jamais elle ne se serait permise une telle chose. Regardant le paquet avec une terrible mine, la jeune sorcière n’y toucha pas. Ses yeux passèrent du paquet dissimulé au concierge endormi avec une profonde inquiétude. Comment pouvait-elle se permettre de voler des choses alors qu’elle était déjà en retenue, c’est à dire en punition ? Quand Kanaeko lui proposa d’ouvrir le bal, Lavande secoua la tête.

— Hors de question, voler c’est mal.

Dite avec l’innocence de sa mine de première année, la certitude d’une jeunesse serrée à la corde qu’il ne fallait faire ni mal ni outrage, la phrase de Lavande pouvait paraître ridicule. Mais elle était bien ferme et refuserait de se laisser corrompre par de telles actes. Tout ce qu’elle voulait c’était être tranquille pour travailler : aussi repoussa-t-elle le sac vers Kanaeko et répondit :

— Si tu veux le manger fait le, mais moi je suis pas là. Le pauvre…

A ces mots, Lavande jeta un coup d’oeil au concierge endormi. Sa grande sensibilité revint dans ses grands yeux verts. Voler des bonbons, qui était une source de sucre, de plaisir et de petit bonheur reliant à l’enfance. Même si Lavande ne pensait pas à toutes ces notions avec la précision d’une réflexion d’adulte, quelque chose au fond de son coeur tremblait de ces mêmes mots, lui causant une indubitable tristesse. Elle se mettait à sa place, se disant qu’elle serait inconsolable si on venait à lui voler ses bonbons. Ses parents, et ensuite sa mère, lui avaient toujours dit qu’il ne fallait pas voler. Il n’y avait de toute façon rien qu’elle n’eut jamais désirer des autres, à part la paix. Puis elle se concentra finalement sur son parchemin pour essayer d’oublier ce qu’il venait de se passer, mais elle n’y arrivait pas :

— J’ai l’impression que tu viens de voler la sucette à un bébé endormi, c’est horrible. Quand il va se réveiller, il n’aura plus ses bonbons, et il sera triste et encore plus aigri, parce qu’il saura que c’est nous qui l’aura volé, parce qu’il n’y a que nous dans cette salle. Il nous détestera.

Hiver 1936.

Lavande ne voulait rien entendre. Peut-être les avait-il volé à quelqu’un, effectivement. C’était probable, après tout la jeune enfant n’avait encore jamais eu vraiment affaire avec le concierge. Il ne savait pas comment il était avec les autres élèves. C’était peut-être un tortionnaire vil et aigri. Et c’était peut-être trop pur et innocent de la part de Lavande de penser le contraire. Elle voyait encore le monde des sorciers comme un endroit où l’on ne pouvait faire preuve du même genre de mesquinerie que les moldus… même si ses camarades Serpentard étaient un cas à part. Kanaeko lui tendait encore une fois le paquet après avoir pris un bonbon malgré tout, « voyant mal ce vieux bougre se promener avec un paquet de bonbons ». La jeune sorcière fit une moue de refus ; ce n’était pas bien de juger de la sorte. Tout le monde avait droit à sa part d’innocence, et de vouloir garder auprès de soi des fragments de celle-ci, qui nous font sentir un peu plus éloigné de la mort prochaine. Ces idéaux, philosophiquement imbriqués de nostalgie, n’avaient une fois de plus aucune place dans les pensées de la jeune fille. Elle n’y mettait aucun mot, aucune logique, mais ce n’était qu’une émotion, puissante qui s’imposait à elle, d’une incommensurable tristesse muette.

Finalement, Kanaeko se rejoint à la raison et accepte de rendre le paquet. Si elle le vole, elle pourrait lui causer un tord insoupçonnable. Et si lui l’avait volé, alors elle ne vaudrait pas mieux que lui. Tout se goupillait pour que le bien triomphe. Lavande fut contente d’avoir pu remettre son aînée sur le droit chemin, en tout cas pour cette fois. Lorsqu’elle revint à ses côtés, la rebelle sortit un livre et semblait presque prête à réviser. La petite sorcière allait avoir une compagnonne de retenue avec qui réviser. Peut-être pourraient-elles même s’entraider ! Ce fut à ce moment que Kanaeko poursuivit, déclarant que cela n’aurait pas non plus était juste pour la miss, car elle aurait été involontairement complice de son acte et se serait reprise une nouvelle retenue par sa faute. Cette compassion surprit la née-moldue qui n’était pas habituée à ce qu’une Serpentard ne soit aussi généreuse envers elle. Habituée aux brimades ou à l’ignorance, elle resta bouche-bée face à son aînée sorcière. Ainsi lui offrit-elle son plus jolie sourire, sincèrement touchée :

— Merci à toi…

Que dire de plus ? Cette gentillesse lui envoyait une vague de chaleur réconfortante dans la fraîcheur obscure de ces sombres et anciennes salles. Il était agréable l’idée d’avoir un allié dans cet entreprise difficile qu’étaient les études, surtout dans sa propre maison qui ressemblait à s’y méprendre à… un étrange trou de serpent. Ironique. Lavande tourna la page de son livre et entamait sa lecture, plume à la main pour réviser ses paragraphes archaïques. Elle ne pourrait pas forcément aider la rebelle, car d’un an plus vieille qu’elle, ses devoirs devaient être bien plus compliquées ! Mais la jeune fille ferait de son mieux. Elles réviseront probablement toute la soirée, pointant du doigt des questionnements et se plaignant comme des enfants de ne pas comprendre certains passages. Mais ce n’était que parti remise car elles pourraient poser leurs questions au professeur durant le prochain cours, disait alors Lavande, optimiste jusqu’au bout de sa plume de cygne noir. Si Kanaeko devait manquer d’encre dans son bouchon, la née-moldue lui en prêtait aussitôt dans sa petite bouteille. Elle était peut-être une Serpentard, mais on lui avait appris à la dure que sans une entraide sincère, on ne pouvait que foncer dans le mur.

Ainsi était-elle heureuse de savoir qu’il existerait dans cet immense château, une nouvelle personne à qui elle pouvait sourire.