Pas simple d’assumer sa propre nature… Surtout quand celle-ci est, elle-même, très complexe. J’ai la chance de ne pas avoir peur de grand-chose (fut un temps, j’aurais dit avoir peur de rien, mais mon épouvantard m’a prouvé le contraire). Le problème, c’est que cela pousse à l’arrogance et pourtant dieu-sait que je ne supporte pas ce trait de caractère. C’est même la raison principale pour laquelle je déteste les Gryffondors. En y repensant, le Choixpeau a hésité lorsque j’étais sur le tabouret… Il était hésitant entre mon côté tête brulée et mon côté ambitieux. Sans doute pensait-il que cette ambition me pousserait loin de mes défauts mais… ce ne fut pas le cas… Dire que j’aurais pu être Gryffondor…

Ce jour-là, ma conscience me pesait. J’étais allé trop loin avec le professeur de rune, il fallait bien l’admettre. Oh, bien sûr, je pensais toujours qu’il était bien susceptible, mais pour le coup, en me mettant à sa place, je comprenais ses réactions. Du coup, je m’étais promise que si je venais à recroiser sa route, eh bien, je lui présenterai mes excuses.

Il y avait une heure de libre sur mon emploi du temps et je ne savais pas vraiment quoi faire. J’avais alors décidé de méditer sur ce qui n’allait pas dans mes matières préférés (défense contre les forces du mal notamment). Mais, automne oblige, il tombait des cordes dehors. Je me rendis, alors, dans la grande salle. A cette heure-ci, il ne devait pas y avoir grand monde de toute manière et, en effet, il n’y avait pas foule. Quelques élèves par-ci, par-là… Et un professeur. Le professeur de rune était à sa place, un jeu d’échec en face de lui, visiblement très pensif. Je pris alors mon courage à deux mains et m’approcha de lui, serrant mon livre de Sortilèges Avancés Contre Les Forces du Mal contre ma poitrine. Je monte doucement les quelques marches qui séparent la table des professeurs à celle des élèves et me pointe devant lui, de l’autre côté de la table, à environ un mètre, sans rien dire, le regard fixé sur le jeu. Cette fois-ci, je n’allais pas faire la même erreur et me conduire en élève modèle et, surtout, respectueuse.

J’attends alors qu’il joue son coup… et les autres même. S’il le fallait, je pouvais attendre jusqu’à la fin de sa partie. Après tout, je n’étais pas pressée. Mais hors de question que j’ouvre la bouche avant d’en avoir reçu l’autorisation par le biais d’un regard. En attendant, je restais le regard fixé sur le jeu, essayant de jouer contre lui dans ma tête, ce qui n’était pas chose simple… Pour moi, il n’y avait aucun coup qui en valait la peine. Chaque mouvement pour chaque pièce était risqué… La position de chacune d’elles étaient délicates. C’est étrange dit comme cela, mais me torturer la tête à essayer de trouver une solution à ce jeu m’aidait à me détendre.

Lorsque, finalement, je reçu l’autorisation de parler, je leva les yeux vers Grindelwald.

« Bonjour monsieur… Excusez moi de vous interrompre mais… je souhaiterais vous dire quelques mots, si vous me le permettez. Je ne vous dérangerai pas longtemps cette fois. »

Automne 1942.

La pluie qui tombait sans cesse depuis le matin avait profondément entaché l’humeur de Gellert Grindelwald ce jour-ci car peu d’opportunités s’offrait à lui. Il ne pouvait pas profiter du parc et de l’air sur ses joues et il n’avait nullement envie de retourner dans son petit bureau qui lui faisait office de cellule. Il avait donc hésité longuement entre la bibliothèque ou la Grande Salle, n’ayant pas l’autorisation de se promener non plus dans les couloirs du château sans avoir une destination précise. Fortement ennuyé par cette situation et cette météo capricieuse, le mage noir avait finalement opté pour la Grande Salle, s’étant même apporté un échiquier. Quelques élèves se trouvaient dans cette pièce similaire à une nef de cathédrale, mais ils étaient assez rares, les autres étant en cours. Sa présence dans la plus vaste pièce du château intrigua les étudiants présents, certains chuchotant à son passage, d’autres se contentaient de le regarder. Lui préférait avancer en les ignorant, le regard fixait droit devant lui, impassible et froid comme à son habitude, suivi par deux Aurors qui ne disaient mot. Gellert s’installa alors à la table des professeurs, qui se trouvait être vide, et sortit son jeu et commença une partie contre lui-même.

Il pouvait et allait y passer des heures, n’ayant vraisemblablement et tristement rien de mieux à faire. Cependant, il devait avouer que Poudlard égayait et entretenait un peu plus son esprit qu’Azkaban et ses Détraqueurs. Ici, il pouvait interagir, plus ou moins avec la qualité, avec d’autres personnes et non pas juste des prisonniers à l’âme siphonnée. Au bout de plusieurs dizaines de minutes sûrement, il vit une ombre se présenter devant lui. Au début, il l’ignora juste, concentré dans son coup, réfléchissant à toutes les éventualités possibles pour gagner la partie. En plus de quinze ans, son niveau avait dû certainement diminuer et il ne désirait pas être dérangé maintenant. Cependant, l’ombre devant la table ne rebroussa pas chemin et semblait vouloir le voir et uniquement lui. Gellert se demanda alors si c’était une nouvelle fois un élève qui venait lui témoigner son admiration morbide ou, au contraire, une haine sans nom. Ennuyé par cette situation, il laissa la silhouette languir quelques instants de plus, Grindelwald jouant son fou en F4 de manière à mettre en échec la reine adverse. Certains jeux d’échecs avaient un caractère bien prononcé et refusait parfois de se soumettre au sorcier qui jouait, mais étrangement, les pièces ne se rebellaient nullement devant Grindelwald.

Finalement, il redressa le regard pour voir qui se trouvait devant lui et fut assez surpris de voir la Serpentard qu’il avait eu en retenue l’autre soir. Presque ennuyé en anticipant la possible conversation avec elle, il la regarda juste et lui fit un bref signe de la main pour l’inviter à parler. La première chose qui le marqua fut la politesse, certes basique mais tout de même présente, de l’étudiante. Ensuite, elle lui demanda la permission de parler, avec un côté assez respectueux. Satisfait qu’elle semblât avoir compris qu’elle était sa place dans la hiérarchie de l’école, Gellert s’installa plus confortablement dans son fauteuil en bois, les deux Aurors les regardant froidement et sur leurs gardes, cette fois-ci suffisamment proches pour entendre ce qu’il se disait. Cependant, Gellert n’y faisait pas vraiment attention, commençant à être habitué à cette présence particulièrement désagréable dans son dos. Néanmoins, il croisa les bras, appréhendant ce que la Serpentard allait encore pouvoir lui raconter, ne lui faisant pas totalement confiance sur sa bonne volonté.

— Vas-y, parle.

Il jeta un coup d’œil à l’échiquier et se dit qu’il aurait sûrement du mal à se replonger parfaitement dedans et qu’une nouvelle partie allait sûrement être nécessaire.

Vous me direz, dans tous les cas, je continuais à le déranger. Après tout, qui aime être interrompu en pleine concentration sur une partie d’échec ? C’était un risque de venir lui parler à ce moment là mais, si je ne venais pas là, à quel moment je pourrais lui parler ? Les seuls moments où je le vois, c’est lors du festin. Après tout, je n’ai pas pris runes en Aspics. Vous vous en doutez, ce n’est pas du tout la matière où je brille le plus (même-ci je préfère cela à histoire de la magie).

J’attendis, alors, patiemment qu’il joue. Un coup vraiment bien mené, à la fois subtile et précis. Ce fou placé, il leva finalement ses yeux vers moi. J’étais un peu stressée, sachant bien que s’était là, sans doute, ma dernière chance de me racheter… N’étant pas douée pour le social, j’avais vraiment peur de refaire une boulette. D’autant plus que je devais faire attention à ce que j’allais dire. Cette fois, les oreilles des Aurors derrière lui étaient grandes ouvertes. Je pris d’ailleurs grand soin à ne pas les regarder, leur prêtant autant d’attention qu’aux armures du château. Grindelwald semblait, en tout cas, de bien meilleure humeur que la dernière fois. Plus détendu aussi. Je ne sais pas si s’était dû à la situation, à son humeur du jour ou à ma conduite respectueuse, mais cela me permis de me détendre quelque peu, me rassurant. Mais, il croisa les bras avant de m’inviter à parler, semblant appréhender, à juste titre, ce que j’allais lui dire. Après tout, je suis réputée pour mon insolence. Me voir soudainement aussi douce et respectueuse serait aussi choquant que de voir Jedusor parler en utilisant des noms d’oiseaux à chaque phrase. Je baissai doucement la tête, mais ne rompit pas le contacte visuel.

« Je tenais à m’excuser pour mon comportement de l’autre jour. Je me suis montrée déplacée et irrespectueuse, et j’en ai pleinement conscience. Cela ne se reproduira plus. »

Vous me demanderez, pourquoi m’excuser auprès de lui alors que je me comporte de la même manière, si ce n’est pire, avec la plupart des professeurs ?... Eh bien, déjà, ce mec là impose le respect bien plus que n’importe qui dans cette école. Après, il y a des professeurs que j’apprécie et que je respecte… Dumbledore, Slughorn, Raven… Même McQuarrie paradoxalement. Je dois avouer qu’elle m’amuse. En temps normal, si Grindelwald avait été un professeur depuis le début et non un criminel en rédemption, je l’aurais, surement, aussi bien respecté que les moldus respectent leur dieu. Finalement, je romps le contact visuel pour baisser la tête.

« Il fallait juste que je vous le dise… Pardon pour le dérangement. »

Automne 1942.

Tandis que Gellert se trouvait toujours à sa table, contemplant l’échiquier en face de lui et des pièces qui se détruisaient les unes les autres en fonction des coups choisis par le mage noir. Jouer contre soi-même était difficile. Il fallait arriver à dissocier sa propre pensée pour tenter d’avoir deux manières de réfléchir uniques et sans interférence. C’était un exercice mental compliqué, devant oublier ce qu’on faisait de part et d’autre du tableau. Cependant, même s’il ne l’avait pas pratiqué depuis longtemps, c’était un exercice auquel aimait se prêtait Gellert. Toujours avoir un coup d’avance. Voire deux ou trois. Cela l’avait mené loin, même si son ascension avait été freiné en cours de route. Mais l’anticipation permettait toujours de voir venir les choses. Et le mage noir jouissait d’un don de voyance très fort, un Troisième Œil surdéveloppé, lui permettant d’apercevoir le futur assez clairement. Cela l’avait avantagé plusieurs fois. C’était un don qu’il chérissait et qu’il gardait pour lui, surtout par rapport à Albus, qu’il en savait dépourvu. S’il y avait bien un domaine dans lequel il le dépassait, hormis la magie noire, c’était bel et bien celui-ci, et c’était loin d’être déplaisant que de se sentir pleinement puissant dans un registre.

La demoiselle reprit alors la parole, comme lui avait invité à faire Gellert précédemment. Contre toute attente, elle s’excusa de son comportement. L’ancien mage noir n’avait pas pris la peine de demander à ses collègues des renseignements sur le caractère visiblement bien trempé de la Serpentard mais il n’en avait pas eu si besoin que cela pour deviner son tempérament. Ce fut pour cela que ces excuses le surprirent presque. Le fait qu’elle avoue avoir été irrespectueuse était plutôt inattendu mais pas désagréable. Gellert leva le nez de son échiquier pour la regarder droit dans les yeux, impassible et froid, l’écoutant religieusement. Elle promit alors que ce genre de situation ne se reproduira plus et s’excusa une nouvelle fois. Gellert se demanda s’il était si terrifiant que cela pour l’avoir ainsi traumatisée. Après tout, les élèves de Poudlard n’étaient encore que des enfants et des adolescents, de jeunes gens pas encore totalement construits et qui, pour certains, avaient une certaine appréhension pour l’autorité. Il soupira longuement et posa son dos au dossier de son fauteuil en bois, la regardant toujours, ne sachant en réalité pas quoi ajouter. Lui pardonnait-il ? Probablement, après tout, elle n’était pas la première à lui manquer de respect ici. Sa simple présence à Poudlard était une insulte.

Pour toute réponse, il fit un petit geste de la main, comme pour chasser tout ce qu’il s’est passé. Cependant, il n’avait toujours pas l’ombre d’un sourire et son visage demeurait fermé.

— Passons à autre chose. Ce n’est pas comme si j’allais avoir des représailles contre une élève insolente de dix-sept ans.

Il soupira et essaya de retourner à sa partie d’échecs. Cependant, sentant bien qu’il avait été complètement sorti de son jeu, il estima qu’il valait mieux recommencer. S’il pouvait essayer de jouer avec lui-même, une fois sorti de sa concentration, il était extrêmement difficile de se replonger efficacement dans la bataille stratégique sur le plateau en damiers. Il hésita alors quelques secondes avant de replacer les pions encore intacts tandis que les autres se réparèrent tous seuls avant de se replacer. Il leva alors brutalement les yeux sur l’élève qu’il sembla inspecter. Après tout, pourquoi pas…?

— Dis-moi, sais-tu jouer aux échecs ?

Il n’avait malheureusement rien de mieux à faire durant cette après-midi pluvieuse.

Il n’y a pas à dire, ce professeur est vraiment intimidant. Je le dis presque à chaque fois, mais, je veux vraiment que vous compreniez à quel point il m’impressionne. Même-ci je pouvais le cacher, comme à notre première rencontre, cette fois, il était préférable que je me montre au grand jour de peur de paraitre irrespectueuse malgré moi. Parfois, vaut mieux paraitre faible plutôt que de se montrer plus forte qu’on ne l’est. Mais je n’avais pas à forcer pour paraitre stressée. Néanmoins, sa surprise à mes excuses me tira un léger rictus, quelque peu stressé, jusqu’à ce qu’il ne chasse d’un geste de la main une mouche invisible… Mouche qui était, je l’espérais, notre expérience passée. Il me le confirma bien rapidement en nous proposant de passer à autre chose… Tout en me traitant d’ado insolente, mais bon, il n’avait pas tort. Oh je n’avais pas forcément envie de changer avec les autres profs mais, comme dit précédemment, Grindelwald faisait partit des personnes que je voulais respecter… et qui se sentirait respecté. Il ne souriait pas et ne montrait toujours pas une once d’émotion. En même temps, il n’est pas réputé pour et, comme il le dit, je ne suis qu’une insolente petite élève de dernière année, pourquoi s’ouvrir à moi ?

« Merci, monsieur ! »

En tout cas, c’était une mission accomplie et ce pardon ma tira un sourire à la fois soulagé et satisfait. Je ne voulais pas le déranger plus longtemps ! Après tout, j’avais déjà bien abusé de son temps sans compter que, voyant que les pièces se replaçaient dans leur emplacement de départ alors que la partie n’était pas fini, il n’était pas difficile de comprendre que je l’avais sorti du jeu au point qu’il était obligé d’en recommencer une nouvelle. J’allais, donc, tourner les talons lorsqu’il me posa finalement cette fameuse question qui me fit cligner des yeux.

« Les échecs ?... Eh bien oui. »

Mon regard se posai alors sur les pièces qui terminaient de se replacer, repensant à ses mouvements de jeu très précis et pensai, alors, qu’il serait utile de préciser une chose :

« Mais, je ne suis sûrement pas de votre niveau… »

Dire l’inverse aurait été une farce. Grindelwald est un tacticien hors pair, ce qui fait surement de lui un brillant joueur d’échec. J’avais surement autant de chance de le battre aux échecs que durant un duel à la baguette. Mais… je dois avouer que l’idée de jouer contre lui me titillait. Malgré moi, mes yeux pétillaient comme lorsque je me prépare à enfreindre une règle ou à lancer un sort à quelqu’un… Après tout, gagner ou perdre n’a pas d’importance. C’est la route qui importe, pas la destination, comme dirait une écrivaine moldu que je lis actuellement…

Automne 1942.

Grindelwald continuait de se complaire dans son silence caractéristique, attendant patiemment la réponse de l’élève, se demandant s’il avait bien fait de proposer cette partie où s’il allait vite le regretter. En effet, si la Serpentard se montrait aussi curieuse que lors de la retenue où il avait dû la surveiller, il écourterait rapidement leur petite séance de jeu. Il espérait seulement qu’elle se montre courtoise comme elle venait de le faire en reconnaissant sa faute et en s’excusant. Gellert, quant à lui, n’avait rien à se reprocher de son point de vue. Son mauvais caractère avait déjà fait le tour de l’école, tout le monde savait à quoi s’attendre quand on prononçait un mot plus haut que l’autre en sa présence. Mais cette réputation, aussi insignifiante soit-elle avec celle qu’il avait pu avoir jadis, restait tout de même gratifiante : personne ne lui cherchait des noises et les quelques élèves assez imprudents pour s’y risquer le regrettaient instantanément. Pour l’instant, il devait avouer qu’il avait été assez tranquille jusqu’ici. Cependant, cette proposition de jeu ne devait pas être interprété en tant qu’un début d’amitié ou de complicité. Il n’allait pas s’attacher à tous les élèves de cette école, cela lui était de toute façon impossible, en témoignait la furieuse envie d’exploser le château qui lui prenait parfois.

— Cela fait plus de vingt ans que je n’ai pas joué contre quelqu’un, si ce n’est plus. J’ai forcément perdu de mon niveau d’antan, rassure-toi. Le but n’est de toute façon pas de finir en mat en trois coups.

Il la regarda dans les yeux, tandis qu’elle restait plantée devant lui-même s’il pouvait déceler une certaine lueur d’enthousiasme certaine dans les iris de l’élève. Grindelwald retint un soupir ennuyé, n’ayant guère envie d’incarner quelque chose de prestigieux qu’il n’était plus. Sous le regard des Aurors, il attira une chaise du banc des élèves d’un simple mouvement de la main et posa le siège en face du sien, de l’autre côté de la table. D’un signe de la tête, il invita Hantsuki à s’asseoir. Il positionna l’échiquier de façon à ce qu’il prenne les pions noirs, laissant la main à la Serpentard.

— À toi l’honneur.

Il posa alors ses yeux aux couleurs du damier, se concentrant désormais sur la stratégie à adopter. Même si elle n’avait pas encore bougé le moindre pion, il réfléchissait déjà à comment mettre en place une attaque longue et usante et hésita même à lui mettre la pression dès le départ. Les opportunités étaient grandes et quelque part, se mesurer à quelqu’un, peu importe son niveau, avait quelque chose d’excitant. Durmstrang avait toujours entretenu cet art du duel au sein de tous ses élèves et Gellert avait toujours avide de montrer qu’il savait mieux faire que tout le monde dès ses premières années. Une volonté de fer de faire ses preuves et surtout, de s’imposer. Si le Ministère lui avait retiré ce plaisir de le faire par la magie, il pouvait toujours assouvir son désir de supériorité dans quelque chose de plus pacifique qui prenait forme sur l’échiquier. Ayant prévu quelques coups d’avance, il s’appuya dans son fauteuil et croisa les mains, regardant son adversaire, le regard serein mais glacial. La stratégie était au cœur du jeu, mais l’intimidation, la pression étaient des facteurs que beaucoup négligeaient, pensant simplement s’amuser au-dessus du damier. Mais Grindelwald ne jouait jamais pour passer le temps, mais pour gagner.

Oh de toute manière, je ne cherchais ni l’un ni l’autre. Après tout, je ne perds pas de vu que je veux devenir Auror et que lui reste un mage noir, sans oublier pour autant que je ne suis encore que son élève et lui mon professeur. Tout cela reste très bizarre, mais cela n’empêchait pas que l’on pouvait avoir une bonne relation élève-professeur. Il ne servait à rien d’avoir plus. Ses paroles, d’ailleurs, étaient plutôt encourageante. Il ne m’écrasait pas pour autant et cela me fit sourire. Je repensais un peu à ma mère qui me parlait de lui. Son égo était légendaire, cependant, il restait plutôt respectueux avec ses acolytes… tant que ses acolytes le respectaient lui. Cela ne semble pas tellement avoir changé au final !

En réponse, j’hoche doucement la tête. Il me laisse les blancs, ce qui me donnait la main. La pensée de la futur Auror qui s’occupe des pièces blanches et du mage noir qui tenait la pièce noire m’amusait. Enfin, je me vois Auror, mais je n’ai toujours pas mes ASPICS, et pour cela, il allait falloir cravacher en théorie, mais ça, c’est une autre histoire. Je devrais peut-être demander des conseils à un des gros bras derrière le mage noir... En parlant de cela, je l’observai manipuler la chaise sans baguette avant de m’inviter à m’asseoir… C’était vraiment classe à voir, mais il fallait atteindre, à ce qu’il parait, un niveau immense en maitrise magique, mais aussi, avoir une bonne puissance de base. J’aimerais savoir faire cela… Enfin bref, je pose me fesses sur cette chaise, cachant mon admiration et regarde quand même les Aurors… L’un d’eux avait la main sur sa baguette malgré tout et l’autre se racla la gorge… Ce n’était qu’un tour de passe-passe, mais étais-ce vraiment autorisé ? Dans tous les cas, le concerné ne semblait pas inquiété. Mon regard se posa, alors, sur le jeu.

« Merci. »

Je ne comptais, cependant, pas me laisser vaincre aussi facilement. Je connaissais les coups de bases qui permettaient, justement, de prendre le Roi en trois coups. Je n’allais donc pas me faire avoir si vite, mais je n’allais pas non plus faire l’affront de croire qu’il pouvait se faire avoir aussi facilement. Du coup, je préfère la jouer fine et commencer par déplacer un cavalier, sans toucher aux pions. Risqué dans un sens, mais toujours moins que d’avancer un pion à mes yeux. Je ne suis pas douée pour la stratégie à long terme, mais l’improvisation et l’adaptation, ça me connait ! Je souris, laissant échapper dans un murmure :

« Rendons ceci amusant. »

Automne 1942.

Grindelwald avait bien senti la nervosité des Aurors quant ils virent la chaise se soulever du sol. Ils voulaient bien faire leur travail et ne pas laisser l’opportunité au mage noir de reprendre un minimum de prestance ou de domination magique. Le prisonnier n’avait pourtant nullement envie de jouer les rebelles mais ne supportait pas non plus rester magiquement inactif tel un simple Cracmol. Cette situation lui était insupportable alors soulever et faire venir une chaise était un bien maigre plaisir inoffensif qu’il s’était permis de s’octroyer. Il savait que cela avait déplu les agents du Ministère mais ceux-ci devaient se rendre compte qu’il n’allait pas lancer une mutinerie dans l’école parce que la jeune Hantsuki avait posé son derrière sur une chaise apportée magiquement. Sans leur lancer un regard mais l’oreille tendue, il attendit d’entendre de nouveau les bruissements du tissu indiquant que celui qui avait mis la main sur sa baguette avait finalement laissé son arme. Satisfait que les Aurors eussent compris que ses intentions n’avaient rien d’hostiles, Grindelwald retint un soupir exaspéré qu’un simple déplacement de chaise prenne autant de proportions. Il allait encore devoir tout justifier auprès d’Albus et du Ministère, même s’il n’en était pas plus inquiet, juste profondément las.

Il se reconcentra alors sur l’échiquier et vit l’élève bouger son cavalier en premier. C’était une stratégie qu’il n’avait pas eu l’occasion tant que cela de voir mais elle n’en était pas moins intéressante. Les cavaliers étaient en effet les pièces qu’il estimait les plus imprévisibles, capables de mettre en échec plusieurs pièces sans être embêtés par l’une d’entre elles. Un moyen efficace de percer les défenses en toute sécurité. Dans un premier temps, il lui fallait protéger la reine, comme d’habitude. La mobilité de cette pièce en faisait un atout crucial pour le reste de la partie. Cependant, au fil des coups joués et des pions déplacés, Grindelwald eut une opportunité à portée de main. Une opportunité qui allait demander le sacrifice de sa propre reine. Cependant, dans un conflit, il était parfois nécessaire d’envoyer son meilleur élément vers une mort certaine si cela lui permettait de retirer l’atout de l’adversaire. Restait à savoir qui allait le mieux composer avec les pièces restantes. Hésitant quelques secondes, calculant les autres opportunités qui se présentaient à lui, Gellert envoya finalement sa reine prendre celle de Hantsuki. Sa pièce maîtresse n’était désormais plus protégée et il la perdrait sûrement instantanément.

Il se redressa alors sur sa chaise et croisa les bras, jetant un furtif coup d’œil à son opposante, attendant une réaction. Peut-être qu’elle l’avait prévu, après tout. Peut-être qu’il était tombé dans un piège qu’il n’avait su voir venir. Dans ce cas-là, cela rendrait la partie plus intéressante encore et elle aurait gagné un certain respect de la part du mage noir. Mais pour l’heure, Grindelwald calculait juste comment atteindre les cavaliers, puis éventuellement les tours. Sa technique, il devait l’avouer, était une victoire lente : affaiblir le plus possible les forces ennemies pour ne laisser que le roi, seul et démuni. C’était après tout une technique qu’il avait appliqué au cours de ses années de révolution, esseulant ses proies en supprimant toutes aides ou alliés pour ne plus avoir qu’à les cueillir en suivant. Un sourire mesquin se dessina sur ses lèvres blafardes. Plusieurs scénarii avaient été prévus et il y avait peu de chances pour qu’Hantsuki se détourne de l’un d’entre eux. Ainsi, à chaque coup, elle allait se jeter un à un dans tous les pièges qu’il lui tendait. Peu importe que cela ne fut qu’une simple partie d’échecs : l’amusement n’était pas un sentiment que voulait atteindre Grindelwald. Il voulait tout simplement faire un tour de force et montrer de la façon qu’il pouvait, à défaut de pouvoir le faire magiquement, qu’il était toujours lui-même.

Même-ci de l’extérieur je paressais calme comme jamais, à l’intérieur, j’étais véritablement excitée comme une puce. Affronter le grand Gellert Grindelwald aux échecs, c’était comme affronter un vrai champion. Je n’avais aucune chance, certes, mais quel honneur ! Rah, même-ci je donnerai tout pour pouvoir l’affronter en duel, baguette contre baguette, cet amuse-bouche me fit grandement plaisir.

Bref, ayant les pièces blanches, je dus quand même me calmer rapidement et commencer à jouer. D’abords mes cavaliers, mes pièces préférées. Aux mouvements imprévisibles et n’ayant aucun obstacle, ce sont, de loin, les pièces les plus fortes, juste derrière la Reine, à mes yeux. En parlant de Reine, le professeur lâcha rapidement la sienne et, finalement, comme dit précédemment, l’excitation mêlé au manque d’expérience, fit que je perdis un de mes cavaliers tôt, bien trop tôt dans la partie ! Par la suite, alors, je fus d’autant plus prudente, lâchant finalement ma propre Reine dans l’arène. Mais, contrairement à mon adversaire, je ne l’utilisai pas en attaque, mais plutôt en défense. Son large rayon d’action avait la possibilité de menacer les mouvements de biens des pièces, y compris même la Reine adverse ! Je pensais pouvoir faire retourner la partie en ma faveur à ce moment-là.

Après un moment d’hésitation, cependant, Grindelwald effectua un mouvement totalement imprévisible : Sa Reine alla prendre la mienne, mais il s’agissait d’une attaque suicide car je pouvais aisément la reprendre derrière ! J’eus un regard vers le grand maitre qui s’était redressé en croisant les bras, me regardant… Je pensais qu’il s’était trompé, qu’il n’avait pas vu la menace mais voir mon pion massacrer sa Reine sans pitié ne le fit pas frémir… S’était donc totalement prévu.

La suite fût un véritable génocide. Privé de ma Reine défensive, je fis de mon mieux pour compenser avec les fous principalement… Mais, rapidement, je me rendis compte que, même privé de sa Reine, il restait redoutable. Mon second cavalier tomba rapidement. Puis un fou… Je tentai une attaque avec les deux tours mais, rapidement, il ne resta sur le plateau (au niveau des pièces blanches) que deux pions et une tour en plus de mon Roi qui était en fâcheuse posture. Néanmoins, je ne laissai pas tomber, allant même jusqu’à envoyer mon propre Roi à l’attaque ! Hors de question de se rendre. Mais, rapidement, je fus mise en échec et mat.

« Ouf ! »

Je m’affalai sur ma chaise en me passant les mains sur le visage, souriante. Bon sang, quelle partie ! Qui aurais cru qu’une partie d’échec me tiendrait autant en haleine. Finalement, je me redresse et tends la main vers mon adversaire en souriant.

« Ce fût une très belle partie et une victoire méritée ! C’était osé de lancer la Reine à la mort comme vous l’avez fait mais, je dois avouer qu’à partir de là… je ne voyais plus quoi faire ! »

Il avait fait tomber toutes mes défenses sur un coup de maitre.

Automne 1942.

Au fur et à mesure qu’elle progressait, la partie ne se révéla pas être dénuée d’intérêt. En effet, la jeune élève savait jouer et se défendait même plutôt bien. Pourtant, dès que sa reine fut prise, Grindelwald put constater un changement de stratégie. Une tactique qui semblait d’ailleurs plus désordonnée, plus chaotique. Il essayait d’anticiper ses mouvements mais la jeune femme semblait déboussolée à l’idée de devoir composer sans sa pièce maîtresse. Le mage noir, lui, avait prévu le coup. Capable de sacrifier son meilleur élément pour accéder à la victoire, il aurait pu y voir là une sorte de métaphore de sa vie. Hormis le fait qu’il aurait sacrifié roi et reine en même temps, perdant ainsi tout. Il recentra alors son esprit sur le plateau au lieu de le laisser partir dans des divagations inutiles. La partie n’était pas terminée et Grindelwald ne se ferait pas avoir par un moment d’inattention. Il continua donc de placer ses pièces, détruisant les maigres défenses restantes de son adversaire. Le mage noir avait toujours été gourmand : s’il pouvait prendre plus de choses dont il n’avait besoin sans que cela lui porte préjudice, alors il le ferait, craignant un phénomène tel que l’Hydre.

Finalement, il ne resta quasiment rien des pièces blanches, toutes les autres ayant été évincées par la stratégie meurtrière de Grindelwald. Ce dernier finit par prendre le roi qu’Hantsuki avait tenté désespérément d’envoyer au combat. Le mage noir regarda la pièce se faire détruire par sa tour, sans dire quoique ce soit. Il porta un regard neutre sur son adversaire qui s’était affalée dans son fauteuil en soupirant. Finalement, il reporta son regard sur le plateau, songeur. Son niveau avait décroit, avec le temps. Quelques années auparavant, il aurait pu venir à bout d’elle beaucoup plus rapidement. Cependant, avec son emprisonnement de quinze ans, il était normal qu’il eût perdu la main. Cette idée le déplaisait fortement et il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir insatisfait par cette partie. En réalité, plusieurs fois, il avait été vulnérable. S’il jouait contre Albus, en combien de coups celui-ci arriverait à le mettre mat ? C’était une question dont il avait très envie de connaître la réponse, même s’il y avait sûrement un petit côté masochisme pour son orgueil. Il n’était plus un adversaire aussi redoutable qu’auparavant pour Dumbledore. Il se posa alors sur la main tendue d’Hantsuki qui ne tarda pas à le féliciter.

Gellert resta impassible quelques instants, regardant cette paume offerte, ayant du mal à comprendre qu’on puisse encore lui dire qu’il avait bien joué. Il avait pourtant toujours eu ce goût du duel, de la force pure du un contre un. Cela permettait de vraiment se mesurer à un autre, sans influences tierces. Cependant, on ne l’avait jamais vraiment félicité de gagner, même à Durmstrang. En effet, étant le sorcier le plus puissant de sa génération dans l’école de sorcellerie scandinave, il n’avait jamais vraiment de rivalité au sein des duels, assez prisés au sein de l’établissement. Une lassitude certaine s’était installée chez les élèves qui savaient pertinemment que Gellert Grindelwald ne ferait aucun effort pour leur laisser l’illusion d’une chance. Le gamin aux yeux dépareillés était uniquement là pour gagner et s’affirmer. On ne l’avait jamais souhaité ou alors, une ironie et un dédain certains venaient éclabousser ces paroles généralement hypocrites. Pourtant, une sincérité indéniable semblait émaner de Hantsuki. Le regard vide et morne, le visage impassible et las, Grindelwald finit par prendre la main de la Serpentard et la serrer d’une poigne ferme, la regardant dans les yeux, esquissant également un sourire qui pouvait témoignait d’une certaine gêne d’être ainsi traité comme un égal par un membre d’une génération qu’il avait indirectement marquée par ses actes.

— Bien joué à toi également.

Il finit par lâcher cette main et se renfonça dans son siège, regardant le sol, l’esprit comme devenu vide.