Lavande s'avançait jusqu'à la salle sur demande, ses pensées suivant le fil acéré des pierres apparentes sur le mur du dernier étage. Ici l'air était glacé, mais aussi plus sec que dans tout le reste du château. Elle était épuisée mais était incapable de s'en retourner. Dormir ? Où ça ? Dans son cachot qui lui tourmentait les tripes ou dans l'herbe hivernal de son enclos secret ? Aller frapper à la porte du Professeur Raven n'était pas non plus une bonne idée à cette heure ci. Et quand bien même elle aurait un endroit où dormir, en avait-elle les moyens ? Elle avait un corps haïssable, d'une surprenante endurance sur le long cours, qui la maintenait constamment éveillée comme par une douleur lointaine. D'une seconde de somnolence, il lui suffisait de s'allonger pour que son corps retrouve soudainement l'énergie du matin.

Finalement, le sommeil la fatiguait plus qu'autre chose, abominable réveil. Bien souvent son esprit lâchait avant son corps, alors c'était la fin. Les pensées infinies et les rêves d'or et d'étoiles se transformaient en cauchemar dans cette entre-deux qui séparent la réalité de la nuit. Lavande marchait donc droit vers l'effort, prête à y, une fois de plus, dépenser toutes les dernières parcelles de son âme. Toujours le même chemin depuis que l'hiver écossais les avait chasser du dehors. Lavande y posait ses pas avec ce soupir éthéré des gens sans lendemain, essayant de jeter au loin sur le rivage son incurable pessimisme. Impossible. Mais est-ce que cela n'allait pourtant pas mieux dans sa vie en ce moment ? Peut-être. Le mieux est une illusion aux yeux de quelqu'un qui a vécu dans l'ombre si longtemps. Le soleil est si soudain et inespéré qu'on arrive à en occulter son existence. Une seconde de répit dans sa vie ne semblait pas valoir grand chose. Tous les espoirs, les opportunités les plus belles, prenaient soudainement une ampleur grandiose, terrifiante, mettant une inaltérable pression à la jeune fille. Et quand elle tentait de s'endormir le soir, elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer le pire. Elle voyait le Professeur Raven la repousser et lui renier sa confiance, si nettement qu'il lui semblait apercevoir son futur. Avec une surprenante imagination, tous les détails de ces événements qui la replongeraient dans l’abîme se précisaient, du grain de la peau au flou de l'horizon. Le vertige lui faisait perdre la tête.

En attendant que ne se termine son histoire, il lui fallait agir. Elle ne pouvait pas juste se laisser tomber au sol, à attendre la mort, la joue sur l'herbe bleue. Elle devait en apprendre le plus possible, avancer le plus possible, toujours plus loin, se battre, se battre, jusqu'à ce que son corps ne finisse enfin par lâcher et ne lui permette de dormir du sommeil du juste. Quitte à mourir, elle devait le faire avec panache, et que l'on se souvienne de son fantôme. Elle ferait une grandiose dernière année, grâce au Professeur Grindelwald, et finirait enfin sa vie dans les honneurs que l'on voue à ceux de son genre. Pour cela, elle devait tout apprendre, mais surtout apprendre à contrôler ses pulsions. La première fois, quelle passion ! Lorsqu'elle découvrit cette salle secrète et inconnue de tous, une salle remplie de mannequin sans vie qu'elle pouvait détruire les uns à la suite des autres sans qu'aucune conséquence ne soit faite. Une salle magique et coupée du monde où elle pouvait se faire reine sauvage et laisser libre cours à sa colère. C'était si doux. L'explosion d’échardes de bois qui jaillissait de ces petites choses, laissant dans leurs sillages de la fumée de toutes les couleurs. Que n'aurait elle pas donné pour pouvoir continuer, tous les soirs, à prodiguer une telle punition divine sur des mirages. Malheureusement, elle ne le pouvait pas. Elle devait se maîtriser et toujours réviser ses sorts, les passer du papier à la réalité. « Se laisser aller » n'était pas une douceur à laquelle elle pouvait se permettre, un pas de travers suffirait à transformer le ciel en lave.

Arrivant jusqu'au mur fatidique, Lavande pensa très fort à ce cours, à son entraînement, à son défouloir magique, et alors apparut la porte. Elle la traversa sans efforts et parvint devant Grindelwald avec un sourire, laissant son sac tomber près de l'entrée :

— Bonsoir !

La jeune sorcière quitta également sa veste qu'elle posa sur son sac émietté, et remonta ses manches blancs crèmes. Dernière touche finale à cette préparation de tous les soirs, elle sortit sa baguette tordue qu'elle apprêta bien au centre de sa paume. Depuis qu'ils avaient commencé ces entraînements, les automatismes se faisaient de suite... Même si elle était bien heureuse d'enfin les faire à l'intérieur et ne avoir à supporter les hautes herbes mouillés et le vent glacé du parc de Poudlard. Mais cette enthousiasme n'était pas de coutume. Peut-être était-ce la joie de retrouver les carreaux azurées de cette immense salle de tous les possibles ? Il lui semblait être ici en mouvement perpétuel, de ne jamais stagner. Toujours apprendre, toujours avancer. Les douleurs se faisaient de moins en moins ressentir, à part la nuit. Elle ne s'enlisait que lorsque personne ne pouvait la voir. Peut-être était-ce aussi la douce et claire sensation de cette clef qu'elle gardait en collier autour de son cou, pendant à sa poitrine, sous sa chemise à l'abri des regards. Cette petite clef sacrée qu'elle chérissait maintenant plus que tout au monde. Ne serait-ce que pour la défendre, il lui fallait se battre et apprendre. Elle était déterminée et cette détermination était le sang de tant de bonheur.

— Qu'allons-nous faire ce soir ?

Elle se posa devant les miroirs, ajustant sans y penser une mèche de ses cheveux derrière ses oreilles pour ne pas être dérangé durant le cours. Sa baguette étincela légèrement, saluant l'enthousiasme de son possesseur. Ce n'est qu'en se retournant une nouvelle fois face à son mentor qu'elle vit une lourde caisse sur le sol ; son cadenas ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait déjà vu jusqu'ici, cela n'avait rien de moldu. Aucune clef au monde ne pouvait ouvrir ce coffre-là.